Je considère qu’assez peu d’oeuvres inspirées de H.P. Lovecraft aient réussi à réellement retranscrire ses écrits. Ma référence absolue (à quelques petites maladresses près dans sa dernière partie) reste le film « In The Mouth of Madness » de Carpenter avec l’excellent Sam Neill, mais qui date quand même de 1994. Aujourd’hui je pense pouvoir dire qu’une nouvelle oeuvre a atteint ce statut : The Infectious Madness of Doctor Dekker.
Le Docteur Dekker est mort
Ce n’est pas nouveau, on savait déjà que Wales Interactive avait embrassé les jeux en FMV avec des sorties telles que Late Shift, The Bunker et bientôt The Shapeshifting Detective. Si le genre avait été ringardisé dans les années 90 malgré quelques titres de qualité, la prise au sérieux du jeu vidéo de ces dernières années en a poussé certains à relancer les productions en Full Motion Video, en y mettant cette fois un casting de qualité et une véritable écriture.
Dans The Infectious Madness of Doctor Dekker, vous incarnez un psychiatre en vue subjective derrière son bureau qui va devoir interroger les patients du Docteur Dekker, récemment assassiné. Assisté par la pétillante Jaya, ancienne secrétaire du Docteur Dekker et maintenant la vôtre, vous prenez contact avec la patientèle à problème de votre prédécesseur pour y trouver son assassin, tout en essayant de les soigner.
Et vous allez être servi.
Si le cadre se concentre sur le sofa où vous recevez vos patients, la petite musique lancinante qui accompagne vos interrogatoires vous plonge assez vite dans une ambiance quelque peu onirique, allant de pair avec les pathologies de vos interlocuteurs. En effet, le croque-mort Bryce est persuadé de disposer d’une 25ème heure dans la journée, heure pendant laquelle il peut évoluer dans un monde figé. Le laconique Nathan quant à lui se croit bloqué dans une boucle temporelle qui l’oblige à revivre sans cesse la même journée jusqu’à ce qu’il découvre comment passer au jour suivant. Claire, sous ses airs de bourgeoise un peu hautaine, est accusée d’avoir tué son mari, de qui elle s’occupe encore aujourd’hui. D’autres marchent dans les rêves de leurs amis, prennent l’apparence des proches de mourants ou envoûtent leur entourage. A vous de poser les bonnes questions, de faire la part des choses entre le réel et la folie, à moins que celle-ci ne vous atteigne…
L’axe de la syntaxe
Pour interroger les patients, The Infectious Madness of Doctor Dekker vous propose deux possibilités. La première est de vous munir d’un clavier (sur PC) ou de la Compagnon App de la console pour taper directement les questions (en anglais uniquement). Si vous tapez une question qui n’a rien à voir, votre interlocuteur se moquera de vous et attendra la prochaine question correctement formulée. A vous de bien écouter (ou lire les sous-titres en anglais également) ce que vous racontent les patients pour orienter la conversation.
A certains moments, ils vous poseront également des questions auxquelles vous devrez répondre par oui ou par non, suivant vos affinités avec le thème, ou en jugeant directement les actes du patients. Attention à correctement formuler les phrases suivant les mots-clés employés par le patient, car malheureusement, l’outil syntaxique – tout bien pensé soit-il – reste assez limité. C’est d’ailleurs lui qui a empêché la traduction en français du jeu, le travail (et le budget) étant titanesques pour adapter l‘outil à toutes les langues.
Néanmoins, les développeurs ont pensé par la suite à intégrer des phrases pré-écrites en rapport avec la conversation en cours permettant de ne pas s’arracher les cheveux à tenter de trouver la bonne formulation. On y gagne en réactivité, mais on y perd quelque peu en naturel, déroulant alors la conversation en sélectionnant des phrases. Heureusement, votre avatar songera à prendre des notes de ce qu’il considère comme important pour que vous puissiez vous y référer à tout moment.
Jaya sera aussi d’un grand secours en vous apportant divers documents et enregistrements faisant la lumière sur la situation de vos patients. On passe alors nos journées à interroger une série de personnes, en apprenant toujours plus sur la raison de leur présence, leurs problèmes, les rapports entre eux parfois mais surtout sur leur relation avec le Docteur Dekker, qui se révèle bien plus toxique et étrange que prévu.
Iä! Iä! Cthulhu fhtagn!
L’influence de Lovecraft s’instille alors que les heures passent, et on pense à des titres comme l’Appel de Cthulhu bien évidemment, mais aussi l’Affaire Dexter Ward. vos interlocuteurs étant d’une certaine manière tous sous l’influence de quelque chose leur conférant ces étranges capacités. A moins que cela ne soit le fruit de leur imagination… ou la vôtre. Car en effet, certaines visions ou révélations déconcertantes vous concernant viendront parfois entacher vos séances. Et peu à peu, la folie s’incruste l’espace de quelques instants dans vos interrogatoires. Avez-vous rêvé ? Quel était ce détail qui est apparu dans le coin de votre oeil ?
Les rêves sont également très présents, et le jeu d’acteur parfaitement exécuté. Chaque patient possède sa personnalité, réagit à ses capacités d’une manière propre et entretenait une relation étroite avec votre prédécesseur. Entre chaque nouvelle journée (il vous sera suggéré de passer à la journée suivante une fois certaines informations obtenues, mais je vous conseille vivement d’interroger tout le monde au maximum avant de sauter au chapitre suivant), une séquence récapitulative du chapitre vous remettra un peu vos conversations en tête (non sous-titrée malheureusement), ainsi qu’un rêve ou une conversation déroutante.
Il s’avère très difficile de lâcher The Infectious Madness of Doctor Dekker, mais je vous conseille ardemment de vous en tenir à un chapitre par jour, le temps de vous laisser imprégner par les acteurs, l’ambiance onirique, leurs histoires et de goûter peu à peu à la folie. Comptez entre 5 et 6 heures pour en voir le bout une première fois, avec une belle rejouabilité grâce aux choix que vous opérez et au fait que le coupable est généré aléatoirement au début de votre partie. Saurez-vous lever le voile sur le meurtre du Docteur Dekker sans perdre la raison ?
Conclusion
Dire que j’ai plongé corps et âme dans the Infectious Madness of Doctor Dekker est un euphémisme. Les acteurs sont convaincants, l’écriture est maîtrisée et on plonge lentement mais sûrement dans une véritable folie lovecraftienne, pleine d’entités étranges, de modifications de personnalité, mais sans jamais en être véritablement témoin.
Les lieux, le découpage visuel des conversations, la musique lancinante et les différentes personnalités inquiétantes de vos interlocuteurs entraînent une certaine fascination morbide et potentiellement mortelle. Une nouvelle fois, Wales Interactive a eu le nez creux. Si l’anglais ne vous fait pas peur, et que vous appréciez les jeux bien écrits en FMV, je ne peux que vous conseiller ce coup de coeur.
The Infectious Madness of Doctor Dekker
- Développeurs D’Avekki Studios
- Type FMV d’enquête
- Support PS4, PC, Xbox One
- Sortie 05 Juin 2018