Le domaine du Visual Novel est devenu ces dernières années de plus en plus populaire. Je fais d’ailleurs ici un petit coucou à des éditeurs comme Koch Media, Nippon Ichi Software ou ici Pqube qui ont pris le risque de localiser les plus grands romans visuels venus du Japon. Avec ses thèmes étrangement familiers, Raging Loop n’a peut-être pas les même arguments à valoir qu’un Danganronpa ou un Steins;Gate, mais sa substantifique moëlle est ailleurs.
Que la fête commence
Un visual Novel ne présente un réel intérêt que dans son scénario. On y passe le plus clair de notre temps à lire, donc celui-ci se doit d’être accrocheur, mais c’est également une gageure lors de la rédaction d’un test, puisque je ne vais pas trop pouvoir vous en parler sous peine de ruiner la découverte du jeu. Vous y incarnez Haruaki Fusaishi qui file sur une route à moto à travers la montagne, mais réalise qu’il s’est un peu perdu. Un détour par une station-service et un employé peu aimable plus tard, il se retrouve lancé à toute vitesse vers la ville la plus proche pour y passer la nuit. Malheureusement, il aura un accident et sa moto sera totalement ruinée. Seul, en pleine nuit, Haruaki tentera de traverser la forêt à la recherche d’aide et finira par tomber sur la charmante Chiemi Serizawa, qui acceptera de l’accueillir chez elle pour la nuit, au petit village de Yasimuzu
Mais si Chiemi est accueillante, Haruaki se rendra vite compte que les autres habitants de Yasimuzu ne souhaitent que le voir partir et se révèlent aussi froid que menaçants à son égard. Les étrangers aux villages sont en effets perçus comme porteur d’une malédiction, qui déclenche “le Festival”, un jeu mortel où un villageois au moins est remplacé par un Loup-Garou et tue chaque nuit un membre du village. Chaque nouvelle journée, les villageois doivent alors se réunir et décider lequel d‘entre-eux ils vont sacrifier à la montagne en espérant venir à bout des Loup-Garous avant que ceux-ci ne les dévorent tous.
Loup y es-tu ?
On va s’arrêter ici niveau scénario. On remarquera par ailleurs que le visuel de Raging Loop n’est pas des plus tape à l’oeil, même si le jeu est intégralement doublé en japonais (et sous-titré en anglais, mais vous commencez à avoir l’habitude avec le genre). Il faut dire que le développeur – Kemco – n’est pas spécialement connu pour la qualité visuelle de ses productions, le studio enchaînant les petits RPG 2D depuis quelques temps, sympas mais jamais vraiment attrayants. Ici, les illustrations sont de bonnes factures, mais ne comptez pas sur autre chose. Aucune animation, peu d’environnements et de très très longues séquences de lectures sans que les modèles des personnages ou les décors n’évoluent.
De fait, le jeu est très bavard, parfois trop, surtout en début de partie car il faut introduire un grand nombre de personnages, un lieu, une mythologie et un début de situation avant que le “Festival” ne débute. Je vous avoue que j’ai eu du mal à m’accrocher les deux premières heures, confortablement installé dans mon lit à lire somme toute beaucoup de banalités échangées entre Haruaki et Chiemi principalement. C’est donc techniquement en-deçà des standards actuels attendus sur des productions consoles. Mais Raging Loop a d’autres atouts et ces derniers sont bien plus importants que les défauts. En effet, toute cette exposition est nécessaire pour s’attacher un tant soit peu aux personnages, car une fois la première nuit passée, vous allez rapidement voir le quota de villageois diminuer.
Les règles sont simples : chaque soir, les villageois doivent rentrer chacun chez eux pour s’isoler et dormir, sous peine d’être puni par le dieu de la montagne lui-même. Pendant la nuit, un ou plusieurs Loup-Garous ayant pris l’apparence de l’un d’eux ira commettre un meurtre, qui sera découvert le lendemain matin. Les survivants devront alors se réunir pour décider de la mort de l’un d’eux, en espérant choisir un loup et non l’un des leurs… 5 d’entre eux disposent de capacités particulières qui se dévoilent à eux. Deux sont des Singes et connaissent leur identité à l’un et à l’autre. L’Araignée est capable de protéger un membre du village pendant une nuit, tandis que le Serpent peut définir si un des villageois nommé est un Loup ou non, mais seulement le lendemain matin, alors que le Corbeau peut déterminer si un villageois sacrifié est un Loup ou non.
Si cela vous rappelle quelque chose, ne cherchez plus : il s’agit d’une adaptation vidéoludique et japonaise du célèbre jeu de société “Le Loup-Garou de Thiercelieu”, très connue chez nous, mais sans doute moins au Japon. L’écriture fait d’ailleurs des merveilles pour intégrer la mythologie du jeu de société à l’intrigue très japonaise d’un village perdu dans les montagnes nippones (il n’y a pas de loup-garou dans la mythologie japonaise) .
Et là, on comprend que toute l’exposition des premières heures a été utile pour ressentir de la compassion ou une réelle crainte au fil du jeu. On a certes beaucoup de personnages et un lore assez riche à assimiler sur le village, mais Raging Loop prend un malin plaisir à déjouer nos attentes et à nous surprendre à chaque nouvelle journée. Ne vous attendez pas à un train-train meurtrier façon Danganronpa par exemple. Si l’histoire est longue, elle ne perd plus de temps passé un certain stade.
La malédiction
Mais je n’ai pas mentionné la particularité de Raging Loop – qui est en fait mentionnée dans le titre. Vous allez mourir dans le jeu, et même assez souvent. Mais c’est normal. Le principe d’un Visual Novel classique réside dans son système de drapeaux (flags), qui sont autant de repères induits par vos décisions, il est très rare que l’on sache à quel moment exact un choix de notre part a conduit à une défaite ou à une mauvaise fin. Dans Raging Loop, tout le principe vous est expliqué directement en début de jeu lors d’un tutoriel mettant en avant le principe d’une histoire à plusieurs embranchements jusqu’au conseils si vous désirez streamer le jeu sur une plateforme vidéo.
Raging Loop met le novice au genre complètement à l’aise tout en lui offrant une énorme durée de vie et un système simple à comprendre. A chaque mort, Haruaki sera renvoyé au tout début de l’histoire, sur sa moto. Là où un Visual Novel classique vous demandera de jongler avec vos sauvegardes pour rendre à un point précis de l’histoire et modifier vos choix, Raging Loop vous impose de revenir au début… mais avec tout ce que vous avez déjà vu/débloqué dans un schéma de scénarios. Il vous suffit alors de rouvrir le schéma et de sélectionner l’embranchement où vous voulez revenir pour modifier un choix. Un peu comme dans Detroit Become Human si l’on veut, mais avec une subtilité en plus.
Le premier choix survient dès la première scène, mais si vous avez deux options disponibles, la première est grisée et “bloquée” par une clé. Pour la débloquer, vous devrez suivre l’histoire par la route disponible et attendre de mourir. La clé obtenue lors du décès est numérotée et ne vous permet que d’ouvrir une route particulière dans le schéma, le personnage gardant en quelque sorte quelques souvenirs des événements précédant sa mort sous la forme d’intuitions ou de sentiments de déjà-vu. Un système particulièrement clair et intelligent qui a l’avantage de nous laisser concentré sur les événements tout en nous poussant à prendre une autre route, d’autant que même les mauvaises fins apportent des informations importantes sur les personnages.
Vous finirez par vraiment vous attacher à eux, même si en assistant à la sélection du sacrifié du jour, vous les verrez abominables et manipulateurs. Chacun essayant de sauver sa peau, chacun doutant de tous. Comment des habitants d’un petit village qui se connaissent tous peuvent s’entre-tuer de sang froid subitement ? Haruaki est d’ailleurs un personnage très bien écrit qui n’hésite pas à souligner l’ironie ou à poser des questions logiques que nous pourrions nous-même soulever si nous étions à sa place. Il cherche une explication cohérente et fait avec les informations qu’il a entre les mains en posant les bonnes questions. Ce qui oblige les autres à répondre en conséquences. Alors oui, les dialogues sont assez longs, mais vraiment intéressants à lire.
Au niveau sonore, on note que le doublage japonais et très bon, par contre les sons d’ambiance ont tendance à boucler avec un blanc entre chaque redémarrage, ce qui plombe un peu l’immersion. Et comme les décors ont tendance à se répéter – voire à être peu intéressants (la façade d’une maison avec beaucoup de brouillard, ben c’est pas super intéressant à regarder pendant 10 minutes), on est heureux que la qualité d’écriture et le lore soient bien présents.
Un autre défaut qui me chiffonne un peu est que Raging Loop a été présenté comme un jeu violent, qui ne nous épargnerait rien… ce qui est le cas quand on parle de tension, de choix abominables ou de situations, mais au niveau des meurtres, on a le droit à une image fixe, rouge ne reprenant que les contours du cadavre. La description est certes bien écrite, mais on aurait quand même voulu voir l’état du cadavre. Ne fût-ce que pour faire les mêmes constatations que le héros ou juste ressentir le choc. Là, j’ai été déçu, car si l’écriture m’a vraiment emballé, les scènes de découverte des cadavres manquent cruellement d’impact. Surtout au niveau des premiers morts, puisqu’au final, on vous indique que “machin” est mort sur la route ou dans son lit, mais que vous ne parvenez pas à vous souvenir de quel personnage on parle…
Conclusion
Raging Loop est sans doute la meilleure porte d’entrée au genre, car en exposant directement ses systèmes au joueur grâce à une interface claire, il permet à tout le monde de se lancer dans cette terrible aventure. L’écriture est excellente, la durée de vie est gigantesque (attendez d’obtenir la clé numéro 1…) et le tout est mené par un personnage vraiment crédible. Si vous aimez comme moi les histoires d’horreur psychologiques, foncez !
Raging Loop
- Développeurs Kemco
- Type Visual Novel
- Support PS4, PC, Switch
- Sortie 18 Octobre 2019