Voilà un moment que Forspoken nous avait été teasé. Plus de deux ans en fait, puisque sa présentation s’était faite succinctement lors d’un Event Playstation en juin 2020, bien en amont de la sortie de la PS5. Déjà à l’époque, ce sont l’immensité du monde à parcourir et les possibilités de parkour qui avaient été mises en avant. Deux ans plus tard, Project Athia est devenu Forspoken. Le rêve est-il rattrapé par la réalité ?
Forspoken
Supports : PC, PS5
Genre : Action / Aventure
Date de sortie : 24 janvier 2023
Editeur : Square-Enix
Développeur : Luminous Productions
Multijoueurs : Non
Pour peu que l’on dépasse l’introduction, et malgré quelques écueils, Forspoken propose une véritable aventure au rythme maîtrisé et faisant la part belle à l’exploration
- La progression ressentie sur le chemin des Tanntas
- Les magies dévastatrices
- Une belle finition et fluidité
- La DualSense, bien exploitée
- Les temps de chargement éclairs
- Une vraie liberté d’exploration
- Étonnamment narratif, sans dispersion inutile
- Très bien rythmé
- La magie est vraiment amusante à utiliser
- Les dialogues, Putain !
- Frey, souvent insupportable
- Une histoire peut-être un peu trop simple
- Une ergonomie des sorts qui entortille un peu les doigts au début
- Un rythme haché par des coupures incessantes
Ensorcellement ou calomnie ?
Bon, je vais être honnête : j’ai lu beaucoup de stupidités dans les tests de Forspoken. J’ai rarement vu autant de bashing injustifié sur un jeu Triple A. Qu’on se comprenne : le titre n’est pas exempt de défaut, et on va détailler ça plus bas, mais il n’y a franchement rien qui en fasse un mauvais jeu. Cela dit, la démo présentée en amont de la sortie a quelque peu desservi le jeu, et suscité pas mal d’incompréhension sur ses qualités générales.
Forspoken est un projet étrange, qui semble dans ses premières heures davantage né du désir d’utiliser et rentabiliser le coûteux moteur maison de Square-Enix – le Luminous Engine. Ce n’est pas une mauvaise raison en soi, néanmoins, cela se ressent. Le jeu n’est pas tout à fait japonais, ni américain, nous fait jouir d’une grande liberté d’exploration, avec un grand choix dans la magie, mais peu ergonomique à utiliser et surtout, il use du thème Isekai comme base, un thème bien trop utilisé dans les mangas ces dernières années.
Je vais commencer cet article comme tout le monde l’attend en développant tout ce qui ne va pas dans une production de ce niveau. D’abord, cela va nous permettre d’évacuer d’emblée l’éléphant dans le corridor, ensuite, on pourra se concentrer sur ce qui rend au final Forspoken si agréable à parcourir.
Partons donc du principe que Forspoken est un projet destiné à rentabiliser le moteur maison, et qui met l’accent sur les sensations grisantes des déplacements. Le reste est finalement accessoire, et en cela, je trouve que Project Athia n’a pas beaucoup évolué depuis la présentation de l’E3 2020.
Pour rappel, le Luminous Engine, c’est ce moteur maison qui avait été présenté en grande pompe dans une séquence en temps réel impressionnante en 2012 nommée « Agni’s Philosophy« , et sensé habiller Final Fantasy XV. De nombreux déboires depuis longtemps documentés plus tard, Final Fantasy XV a été porté sur le bien plus malléable Unreal Engine, tout comme l’autre grosse production Kingdom Hearts III, laissant le Luminous Engine orphelin de projet, et un investissement colossal à combler.
Partant de ce principe, Project Athia devient Forspoken, débute son intrigue en suivant Frey, une petite délinquante afro-américaine orpheline squattant un appartement délabré avec son chat Homère, en proie à de mauvaises combines qui la mène souvent devant un juge bien trop compréhensif. Alors qu’elle a amassé une grande quantité d’argent pour quitter la ville et recommencer une vie saine ailleurs avec son compagnon félin, un incendie très mal géré (« Je dois retrouver Homère avant de prendre le sac plein de pognon décisif pour ma nouvelle vie juste à mes pieds » – « Oh non, maintenant que j’ai trouvé le chat, le sac est derrière un mur de feu impénétrable – Tant pis« ) ruine ses plans. Au bord du désespoir, elle découvre par hasard un bracelet doré posé inopinément dans un lieu abandonné et hyper accessible, et se voit téléportée à Athia, en tant que symbole de l’espoir de tout un peuple. Hop ! Ça c’est fait !
Forspoken débute comme tous les Isekais du monde, et n’essaye même pas de le cacher. Mais comme je le disais, et malgré ce que les derniers trailers ont voulu mettre en avant, ce n’est pas spécialement son histoire qui est importante, mais le monde à parcourir. Je dois bien admettre que les prémisses de l’histoire ne sont guère engageante, et qu’il faut attendre de partie en chasse de la première Tannta pour apprécier la construction du jeu.
Je n’ai pas pour habitude de cracher sur un titre, car il représente souvent une quantité incroyable de travail de la part de développeurs, quel que soit le résultat final. Je ne peux pas imaginer que de tels moyens humains et financiers aient été déployer dans l’optique de faire un mauvais jeu. Donc, un peu de retenue quand on parle de ce type de production.
Incendiez les équipes marketing qui commandent des trailers ou survendent des Editions Deluxe si vous le souhaitez, mais on ne pourra pas nier la quantité de travail colossal des équipes de Luminous Productions pour tirer le meilleur parti d’un moteur bien moins pratique qu’un Unreal Engine. Project Athia / Forspoken est un projet vendu trop cher dans un espoir de rentabilité trop visible de la part de son éditeur, mais il faut avouer que le résultat est très plaisant.
Maintenant que ces bases sont établies, de quoi allons-nous parler ?
Peut-être d’un monde taillé pour l’exploration à toute vitesse, bardé de petits objectifs annexes (nommés ici « Détours ») optionnels mais qui renforcent Frey à chaque fois. Libre à vous donc d’arpenter Forspoken comme il vous plait : en ligne droite pour affronter les Tanntas, ou en prenant votre temps sur la route pour remplir quelques objectifs optionnels, résoudre de minis-énigmes, affronter des World Boss, visiter des donjons, acquérir de nouvelles capes et améliorations, voire de nouveaux sorts dans des sources cachées. Une liberté qui avait été saluée dans Breath of The Wild pourtant…
Là où je rejoins les critiques, et le principal problème selon moi, concerne l’héroïne et de son écriture. J’ai déjà évoqué plus haut un exemple de situation ubuesque lors d’un incendie, mais que dire de ses lignes de dialogues ? Heureusement, le doublage français est de bonne facture, malgré quelques changements de ton d’une réplique à l’autre trahissant un enregistrement à partir d’un fichier Excel. Mais si c’est pour lui faire dire « Putain » et « Merde » toutes les 2 phrases, c’est un peu navrant. On a cette impression que les scénaristes ont voulu lui donner une attitude cool et jeune, mais comme à chaque fois, se sont trompés dans le ton. Frey est assez détestable et n’agit qu’avec un égoïsme visible pendant une bonne partie de l’aventure, totalement sourde à la souffrance du peuple d’Athia. Sur ce point le personnage évolue tout de même, mais c’est long !
Non seulement elle est vulgaire, mais on a du mal à l’aimer pendant une bonne moitié du jeu. Néanmoins, quelques-uns de ses comportements sonnent justes. Quand un peuple entier la pousse à aller tuer leurs souveraines devenues folles, elle refuse net. Malgré ses pouvoirs, et la rage qu’elle a pu ressentir contre la première Tannta qu’elle a vaincu, Frey ne veut pas prendre de vie « juste comme ça », pour un combat qu’elle pense ne pas être le sien. Si elle tue la première Tannta, c’est par pure vengeance personnelle. La seconde, parce qu’elle n’a pas le choix, et si elle ne voit aucun intérêt à aller affronter la troisième, c’est la Tannta qui viendra attaquer Frey d’une manière assez vile pour qu’elle ai ensuite un compte à régler avec elle. Quand à la quatrième, c’est une partie de l’enjeu de sa propre histoire. Frey n’endosse donc que très très tard le rôle de sauveuse, animée pendant la majeure partie du jeu par ses propres motivations.
Une situation qui impacte aussi jusqu’au nom du second protagoniste important de cette histoire : Krav, le bracelet magique à la langue bien pendue. Un compagnon anciennement humain, ayant l’apparence d’un objet, au phrasé plutôt sophistiqué et accompagnant le protagoniste principal dans son aventure en lui conférant ses pouvoirs, ça a déjà été exploité dans l’excellent NieR, avec Grimoire Weiss. Son nom (signifiant « blanc ») était une référence à son statut de livre opposé à Grimoire Noir (je ne vais pas aller plus loin sur NieR, l’article dédié est disponible), tandis que Krav… provient de l’insulte « Poucrave » (pourri, camelote) prononcée par Frey au début de l’aventure pour le désigner. On a ici une écriture de dialogues qui va dans la direction opposée de l’aventure souhaitée, à savoir quelque chose d’épique et de grandiose. Heureusement, les autres personnages s’en sortent mieux (à commencer par la bibliothécaire forgeronne, impayable).
Mais ce n’est pas mon seul reproche, puisque la mise en scène est aussi critiquable. Par moment, elle offre un grand spectacle, mais les trops nombreux fondus au noir hachent chaque séquence, et se révèlent bien pratiques pour ne pas avoir à animer certaines scènes. Frey doit escalader un mur ? Fondu au noir. Frey se fait arrêter par des gardes et menotter ? Fondu au noir – avec quelques effets audio pour que notre cerveau compose lui-même les scènes manquantes
Comprenez bien que ce n’est pas un souci en soi, mais Forspoken a été marketé et vendu comme une production de grand luxe chez Square-Enix, tandis qu’on se retrouve avec un résultat final dont la mise en scène est parfois à peine supérieur à Valkyrie Elysium. Ce dernier a profité de bien moins de budgets et a pourtant accouché d’un résultat plus qu’honorable, tandis qu’on lui pardonne plus facilement ses quelques faiblesses techniques.
Sur les énormes espaces d’Athia, le Luminous Engine s’en tire honorablement avec la belle profondeur de vue affichée, mais des éléments de décors qui apparaissent néanmoins soudainement, et des premiers environnements globalement tristes, ternes et manquant de vie. Les éléments architecturaux en-dehors de la ville et des lieux principaux semblent sortis pour la plupart d’une banque d’éléments 3D, et trop peu d’effets visuels viennent donner à Athia un cachet de « monde magique » propre aux Isekais dans ses premières heures. Mais l’ensemble est propre, fluide et sans aucun bug.
Forspoken paraît parfois souffrir de ne pas avoir eu une véritable direction, pas de manquer de travail. De la vidéo de Project Athia délivrée il y a deux ans subsistent les idées principales, à savoir une utilisation réjouissante d’une magie destructrice et visuellement superbe, et la possibilité de parcourir le monde d’Athia à toute vitesse grâce à la magie.
Un monde à libérer
Ces deux éléments là sont bien présents, et bien que la magie demande un petit peu de temps d’adaptation (la démo nous donnait accès à bien trop de pouvoirs que pour parvenir à être à l’aise du premier coup avec les gâchettes), les sensations sont vraiment agréables, tout comme le sentiment de puissance. On est ici aidé par la bonne gestion de la DualSense, apte à nous retranscrire tant les vibrations que la sensation de pression lorsqu’on charge une magie. Au fil du jeu, on gagne de nouveaux sorts à maîtriser « en lot », que les énormes plaines d’Athia nous servent à tester.
On passe d’un élément à l’autre via le D-Pad, tandis que les touches L1 et R1 servent à sélectionner respectivement un sort de soutien et d’attaque. Les sorts d’attaques sont d’ailleurs le plus souvent déclinés en deux versions : une version rapide grâce à une pression rapide sur la gâchette R2, ou une version chargée, avec une pression maintenue. À cela on ajoute une attaque énorme qui se charge au fil de l’utilisation des sorts et qui s’active avec L2+R2. Si elle se fait toucher, Frey peut déclencher un contre grâce à la touche Triangle, avec un timing assez serré, et surtout foncer à toute allure et esquiver la plupart des coups grâce à la mobilité offerte par la touche Rond.
L’exploration s’améliore aussi grandement au fil des heures, puisqu’elle gagne de nouveau mouvement facilitant encore le parkour : dash au moment de toucher le sol, rebonds supplémentaires sur les surface verticales, grappin pour rejoindre certains éléments et se propulser, surf…
En ce sens, parcourir Athia est très agréable, fluide et c’est un peu dommage que nos pérégrinations les premières heures ne soient pas mieux récompensées. Créer un grand monde assez vide peut avoir du sens, et à ce niveau, et nous pourrions considérer que les menaces des Tanntas et de la Brume expliquent la ruine des grandes environnements que l’on traverse. Cela donne au départ l’impression d’un choix similaire à Sonic Frontiers avec une grande plaine de jeu faite pour la vitesse et le flow, de l’espace pour gérer les combats avec des sorts impressionnants et juste le plaisir que ces deux éléments procurent.
D’ailleurs, le jeu est découpé en chapitres très distincts, enchaînant les chapitres narratifs avec ceux relevants de la pure exploration. Le titre a d’ailleurs la gentillesse de vous prévenir quand le scénario va avancer significativement, et vous laisser l’opportunité de faire les « Détours » disponibles qui risquent de ne plus être accessibles ensuite. Petite précision : les « Détours » (ou quêtes annexes) sont concentrés dans la ville principale lors des phases « narratives ». Il n’y a que très peu d’objectifs à remplir dans le monde ouvert (à part un défi photo sympa), celui-ci étant vraiment destiné au renforcement de Frey et à la traque aux Tanntas.
Etant donné les enjeux et le manque d’originalité du scénario, la plupart des séquences narratives paraissent assez longues, à quelques exceptions près (voir Frey se faire recadrer par la plupart des habitants de la ville pour son comportement égoïste à de quoi réjouir cependant), mais quand il est temps d’aller parcourir une nouvelle région, c’est assez grisant.
La route vers la Tannta est d’ailleurs parsemée de challenges, car il faut souvent affronter des mini-boss qui bloquent les passages stratégiques, faire face et chercher à s’abriter de la Brume, qui va obstruer totalement votre vision et faire apparaître de dangereux monstres. Chaque voyage à Athia est donc une longue route qui est construite de telle sorte qu’on ai l’occasion de faire plusieurs arrêts pour nous renforcer. Il est aussi plaisant de voir qu’à chaque document découvert, Frey et Krav nous en résument le contenu en une phrase, nous permettant de ne pas les lire réellement tout de suite, ou de passer trop de temps dans l’encyclopédie du jeu. Le flow est facilité dans tous les aspects.
Voilà je pense la meilleure manière d’apprécier Forspoken : en prenant plaisir dans sa proposition de base, parce qu’on sent que c’est ce que les développeurs ont voulus nous donner, bien plus qu’une histoire insipide d’une new-yorkaise paumée et antipathique devenue sauveuse d’un monde magique. Ce n’est pas désagréable à suivre, très sympa à parcourir à toute vitesse en atomisant les ennemis à l’aide de la magie (le système d’esquive est d’ailleurs totalement cheaté, on sent que ça a été fait pour donner un vrai sentiment de puissance) et on a de quoi s’occuper un peu sans pression si on désire flâner sur la carte du monde à la recherche de secrets supplémentaires.
Je pense que les réactions excessives que l’on lit un peu partout à l’encontre de Forspoken (et venant en grande partie de ceux s’étant limités à la démo) proviennent sans doute du fait que la Démo n’ai présenté qu’une partie assez pauvre du jeu, sans nous laisser profiter de sa structure très bien pensée, alternant entre narration et périple dans des terres sauvages, riches en objectifs, à l’assaut des forteresses des Tanntas. Les gens qui incendient Forspoken y ont-ils seulement joués plus de deux heures ?
On peut aussi lire de nombreuses critiques sur la composition quasi- exclusivement féminine des personnages du jeu, ou sur le fait que Fray soit afro-américaine, renvoyant aux idéologies « Woke » rencontrées dans bon nombre de productions actuelles. Il est à souligner que ce n’est pas le cas ici, puisque le jeu ne véhicule pas spécialement d’idéologie féministe malgré son contexte quasi exclusivement matriarcal (comme avait pu le faire Horizon Forbidden West dans ses premières heures) ou agressive, il s’agit d’un choix dont la motivation m’échappe, mais qui n’a rien de choquant en soi. De même, New York étant composé d’une population à 15% afro-américaine et à 17% latinos-américaine, il n’y a pas de quoi se poser de question spécifique sur Frey.
Par contre, l’écriture est un véritable point noir à mon sens pour Forspoken. Frey est antipathique et vulgaire, égoïste et très peu attachante jusque tard dans le titre. On a du mal à réellement prendre son parti et à l’aimer, mais plutôt à lui coller des baffes pour qu’elle cesse de se comporter comme une ado rebelle du haut de ses 21 ans, et se victimiser sans cesse. Le jeu comporte d’ailleurs une séquence de dispute entre son amie Auden et Frey qui résume bien le décalage qui existe entre les problème de Frey et les siens, tout en soulignant que la jeune femme de Cipal est impuissante à changer le destin de son monde. Une remise en question que Frey ne saisira malheureusement pas au vol, à mon grand dam.
Forspoken
En Bref
Fospoken n’est pas le désastre que l’on lit un peu partout. Les développeurs ont voulu que vous preniez du plaisir à parcourir Athia à toute vitesse et à déchaîner des sorts spectaculaires, et ça se voit. Il s’agit d’un jeu bien construit, qui laisse une très grande liberté malgré son découpage chapitré, très bien fini techniquement et plutôt riche en contenu pour celui qui désire s’y aventurer… et parvient à supporter Frey.
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