On en parle depuis longtemps, et plusieurs trailers ont titillé notre curiosité sur le premier projet d’Hideo Kojima après la saga Metal Gear. Avec Death Stranding, on reconnait la patte du créateur de Snake, et on ne s’éloigne finalement pas trop de son propos sur le déterminisme dans une production aux systèmes pourtant très différents.
Il y a eu du move, ouiiii »
La Pérégrination vers l’Ouest
Le Death Stranding a ravagé le monde, et a apporté la Grève, une connexion avec le Monde des Morts, qui permet aux Échoués d’envahir les terres humaines. Chaque humain est depuis soumis à la nécrose, une dégénérescence rapide des cadavres qui mène à une néantisation, une explosion phénoménale détruisant toute la zone. Aussi, l’humanité ne tue plus, elle se cache dans des villes souterraines et son seul espoir est le réseau chiral mis au point par les UCA (Les Villes Unies d’Amérique).
Vous incarnez Sam Porter, un livreur qui n’a rien à faire de la reconstruction de son pays et qui vit au jour le jour en bravant les Echoués pour porter des paquets de stations en stations pour le compte de l’infrastructure Bridges. Sam n’est pas un humain ordinaire, c’est un Rapatrié, quelqu’un qui est déjà revenu de la Grève et qui depuis a la capacité de revenir dans son corps après avoir trépassé (non sans causer une néantisation tout de même). Il est l’un des rares à détenir le DOOMS, une capacité à ressentir la présence des Échoués.
Alors, quand Bridget Strand – l’actuelle présidente de ce qu’il reste des Etats-Unis – sent sa mort arriver, elle lui confie une mission : unifier les Etats-Unis d’est en ouest en connectant tout le pays au réseau chiral, une sorte de connexion réseau instantanée utilisant la Grève pour faire transiter les données, et ainsi relier les gens en redonnant au pays son unicité. Si le premier travail de Sam pour Bridges est de convoyer le corps de la présidente à un incinérateur pour éviter une néantisation de la ville-relais, il devra bien vite partir sauver Amélie, fille de la présidente et successeur de sa mère à la tête du pays, avec qui il partage une forte relation. Celle-ci est retenue dans la dernière ville loin à l’Ouest par un groupuscule séparatiste mené par Higgs, un terroriste ayant un puissant lien avec la GrèveCapable de communiquer avec Sam via un hologramme, elle l’encourage à venir la secourir à et développer le réseau… Voilà que débute la longue odyssée de Sam dans un pays gouverné par la mort et les illusions pour sauver le pays et peut-être lever le voile sur la véritable nature du Death Stranding.
Je suis du genre coriace
Je ne vais pas aller par 4 chemins : Death Stranding est un jeu ennuyeux.
Et c’est le moment où vous rejetez un oeil à la note que je lui ai mise et où vous vous demandez ce que j’ai pu boire avant d’écrire cet article. Si je devais résumer ce que l’on fait concrètement dans le titre de Kojima, je ne pourrais vous dire que l’on passe son temps à livrer des paquets d’un point A à un point B, en évitant des entités invisibles parfois, des voleurs nommés MULEs qui en veulent à votre cargaison plus rarement tout en traversant des territoires désolés.
En apparence, voilà ce qu’est Death Stranding : un ensemble de Quêtes FedEx – Ô combien honnies en règle générale – qui s’étale sur une grosse trentaine d’heures en ligne droites. On passe d’un abris à un autre, on installe la connexion Internet pour que les personnes puissent communiquer entre elles et on charge de nouveaux paquets pour aller plus loin – parfois juste 300 mètres plus loin. Alors oui, on marche beaucoup, on avale les kilomètres en évitant les Échoués ou les MULEs tout en essayant de ne pas causer de néantisation avant la prochaine étape. Et Dieu oui j’ai pesté contre ces longs trajets, tout autant que Sam d’ailleurs, et ce ne sont pas les allers-retours qui manquent. Heureusement, le titre parvient à faire en sorte que chaque chemin parcouru nous semble plus simple ou abordé différemment, grâce à des véhicules, un nouvel équipement ou à des routes, voire à des conditions météos plus clémentes.
Car les Échoués n’apparaissent que sous forte pluie et il devient possible après quelques heures de prédire la météo à court terme et ainsi planifier son voyage. Va-t-on courir en ligne droite dans les plaines, ou à flanc de montage ? Contourner les pics et les ravins, ou tenter de les traverser ? Privilégier les routes tracées ou les petits chemins ? A vous de déterminer votre itinéraire au mieux.
Pour vous aider, vous disposez d’échelles rétractables, de cordes pour descendre à pic, mais aussi de la possibilité de construire divers équipements comme des abris pour attendre que la pluie passe, des routes pour faciliter le voyage en véhicules, ou même des postes de recharge pour faire le plein des batteries sur la route. Ces infrastructures restent permanentes lors de votre partie, mais il sera nécessaire de les réparer au fil du jeu, puisque la pluie elle-même est une ennemie. Si Sam s’en protègera automatiquement, la pluie depuis le Death Stranding a la capacité d’accélérer le temps de ce qu’elle touche. Les fleurs poussent et meurent en quelques secondes, et même votre cargaison en pâtira si vous restez trop longtemps sous la pluie. Aussi trouver des abris ou en construire sera important lors de votre voyage.
Il faut aussi veiller à l’équilibre de ce que vous transportez, puisque porter une grosse cargaison un peu trop haute vous fera vite perdre l’équilibre, quand ce n’est pas un corps humain. Il est également vivement conseillé de porter les marchandises fragiles à la main (en maintenant la gâchette), voire de marcher très – très – précautionneusement quand vous transportez une bombe antimatière. Sam porte de tout, partout.
Pour vous aider à éviter les Échoués, vous serez accompagné d’un BB, un Brise-Brouillard, ces bébés pas tout à fait nés qui ont la capacité de détecter les morts. Si vous récupérez le vôtre à l’issue du prologue, il s’agit d’un équipement défaillant que l’on vous invite à incinérer également. Ces bébés sous cloche ne sont en effet considéré que comme des équipements, mais Sam décide de nouer un lien avec cet être et de le garder, malgré sa durée de vie très faible et ses problèmes de stress. En effet, si Sam est confronté à des événements stressants ou tombe trop souvent, le BB sera trop stressé, jusqu’à complètement se renfermer, vous privant de sa capacité de détection.
Il est heureusement possible de rejoindre une chambre privée dans les grosses infrastructures de Bridges pour se soigner, se reposer et faire le plein de munitions.
Car oui, vous aurez des armes, même létales parfois à n’utiliser qu’en dernier recours, mais la vaste majorité sont simplement incapacitantes en cas de mauvaises rencontres, ou hématiques afin de repousser les Échoués. Il devient vite évident que le sang de Sam a le pouvoir de repousser les Morts et diverses armes – piochant dans des poches de sang ou directement ponctionnées sur Sam en plein combat – sont ainsi créées à partir de ses fluides (de tous ses fluides, de la douche à ses excréments). Mais le combat n’est pas au cœur de l’aventure, vous obtiendrez certes beaucoup d’armes à terme, mais vous vous en servirez au final peu.
Ces liens qui nous unissent
Death Stranding met en évidence les liens qui existent entre les gens. Entre les humains d’abord, puisqu’il s’agit de reconnecter des cités entre elles, mais aussi les joueurs puisque la composantes multijoueurs instancie votre partie avec d’autres – que vous ne verrez jamais physiquement – en vous laissant profiter de leurs infrastructures installées sur le réseau chiral (cordes, ponts, échelles, abris…) en vous donnant la possibilité de “Liker” – comme sur un réseau social – l’aide qu’ils vous apportent. On se rend alors compte que l’itinéraire impossible qui nous a mené dans les plus hauts sommets a déjà été défriché par d’autres quand on aperçoit au détour d’un flanc de montagne une corde laissée là pour vous.
Même si le voyage de Sam est très solitaire, il est finalement multiple et même si nous n’en sommes pas au même niveau, rappelle un peu l’impression finale d’un Nier Automata, quand nous sommes encouragé par les autres joueurs lors d’un passage difficile, ou même pendant les combats de boss. On peut ainsi placer des panneaux indiquant un passage ou un danger, et glaner des “Likes”, presque inutiles sinon à dire “merci” pour une attention. Il nous est même possible de déposer des équipements voire des véhicules dans des casiers partagés, dans lesquels nous pourrons piocher aussi à loisirs, pour faciliter le voyage des autres joueurs. Et rien n’est plus réconfortant de voir au détour d’un chemin un véhicule abandonné là par un autre joueur, nous aidant à traverser la plaine à plus grande vitesse.
Death Stranding est un jeu d’auteur sans équivalent
Alors oui, cela demande de connecter la zone au réseau, et donc de trouver seul la manière de parvenir à la prochaine station, mais quelle récompense de voir soudain la zone hostile s’animer de toutes les structures des autres !
Il est également question des liens avec les autres personnages principaux du jeu. Sam souffrant d’haptophobie, il refuse que quiconque le touche, à part Amélie, pour qui il voue un amour sans borne. Les autres personnages sont également bien écrits – et bonne nouvelle, on évite le mauvais goût malaisant de Quiet dans Metal Gear V – même si tous ont un rapport avec la mort qui est peu subtilement énoncée dans leur nom : Mama a un bébé (même si vous le verrez, c’est plus compliqué que ça), Fragile possède une volonté inébranlable derrière son visage mélancolique, Deadman n’est pas tout à fait vivant, Heartman ne le souhaite plus non plus tandis que Die-Hardman ne meurt pas.
Ce n’est pas du spoil, tout ceci est clair et expliqué simplement. Chacun possède une relation particulière avec la mort, chacun à son niveau, chacun suite à un drame. Et ces archétypes finissent par devenir de puissants soutiens, pour Sam au niveau logistique (les connaissances d’Heartman au sujet du Death Stranding, les capacités de Fragile de se téléporter, les recherches secrètes de Deadman, les inventions de Mama…) mais aussi pour le joueur. Il arrive d’ailleurs que les protagonistes semblent non pas parler à Sam, mais directement au joueur lui-même. Sam ne manque d’ailleurs pas une occasion de nous glisser un petit clin d’oeil dans sa chambre privée.
Outre les missions principales, de nombreuses livraisons vous attendent, parfois en un temps limité, parfois en préservant au maximum la cargaison des dégâts. Si les récompenses en “Likes” sont sympathiques et permettent au fil du temps d’avoir quelques menus bonus de charge, la véritable récompense se gagne sur le Lore du jeu. Vous en apprendrez alors énormément sur le “monde d’avant le Death Stranding” par le biais des emails qu’on vous enverra ou dans des fiches de dossiers récupérés. Des données simplement textuelles mais reçues tel des trésors par le joueur.
Lou, y es-tu ?
Que dire également de Lou, le BB défectueux que Sam emporte avec lui, qu’il faudra parfois calmer en le berçant, ou qui gazouillera tranquillement lors de notre voyage. Sa connexion sera également au centre d’un grand mystère reliant l’existence des BB, le Death Stranding et un énigmatique soldat vétéran. Jeu de Kojima oblige, Death Stranding débute comme un jeu de livraison et évolue de plus en plus vers une quête métaphysique défiant le temps et l’espace. Le monde change et évolue, de terribles tempêtes chirales s’abattent parfois sur le monde, emportant Sam vers des lieux d’affrontement d’un autre temps pour des séquences d’action assez spectaculaires, tandis que Higgs viendra toujours au pire moment vous confronter à une créature chirale pour vous bloquer la route. Toutes les histoires se lient peu à peu, et nous imprègnent au fil de nos pas. Ces longs moments de marche dans les plaines ou aux sommets de montagnes sont alors autant de moment pour nous de digérer les informations collectées et d’échafauder des théories presque malgré nous.
De manière surprenante, la narration est très distillée, il n’y a pas de raccourcis et chaque séquence narrative arrive presque comme une récompense, sans jamais prendre le pas sur nos longues marches solitaires. Jusqu’au grand final, où Hideo Kojima retombe dans ses travers en nous proposant un long tunnel de cinématiques afin de conclure – certes de très belle façon – son histoire. Et le jeu joue pourtant avec notre patience, nous faisant régulièrement subir des allers-retours, parfois en nous demandant de retraverser l’intégralité de la carte en sens inverse ou de repartir voir un personnage très loin après une longue et pénible ascension. Mais le titre a toujours su me proposer quelque chose en plus à ce moment là, à se faire pardonner avec des révélations ou des séquences inattendues.
On va retomber au niveau technique un moment en rappelant que le jeu propose un monde ouvert (en réalité, il s’agit de deux grandes cartes) qui n’a ni cycle jour/nuit ni même une topologie rappelant les Etats-Unis. Ils s’agit en fait de plaines et de montagnes, d’une quasi-absence de grottes ou de vestiges de la civilisation humaine, et la distance à parcourir pour rallier l’ouest ne dépasse pas les 50km en ligne droite. Ce ne sont pas les Etats-Unis, mais un monde alternatif rappelant davantage un décor islandais qu’américain.
Honnêtement, on n’en a que faire, on doute même jusqu’à l’existence des gens avec qui nous n’interagissons qu’au travers d’hologrammes. Seuls comptent Sam et ses bottes, inlassablement lancés dans une course contre la mort elle-même. Et tant pis si l’interface de chargement est indigeste, si le concept de quêtes FedEx est repompé jusqu’à la moelle pour tout et n’importe quoi, que les décors soient mornes ou si le titre se permet de nous balader parfois honteusement de manière artificielle. On finit notre voyage en traçant soigneusement nos itinéraires pour éviter les camps de MULEs, on apprend à reconnaître de loin les lieux propices aux Échoués et on découvre de nouveaux panoramas parfois incroyables mais toujours mélancoliques.
C’est techniquement propre et l’apport des acteurs est un plus indéniable. On se souviendra longtemps des yeux éteints de Fragile (Léa Seydoux), des petites discussions sous la douche avec Deadman (Guillermo Del Toro) ou des affrontements pleins de rages contre Clifford (Mads Mikkelsen). Mais c’est sans conteste Sam (Norman Reedus), heureusement doublé par Emmanuel Karsen, qui porte toute l’aventure. Un homme méfiant, mais amoureux, déterminé, mais plein de doutes, fonceur mais réservé.
On oublie parfois qu’on est dans un jeu vidéo et on vit l’histoire à ses côtés, incarnant ce “pont” qu’il doit représenter à tous les niveaux. Et on finit l’histoire un peu éreinté d’avoir relié toutes les intrigues, d’avoir compris des détails jusque là inexplicables et même ému par la puissance de certaines relations. Death Stranding est un jeu qui parvient à nous faire oublier à quel point il nous maltraite parfois à nous lancer sur des routes désertes pendant des dizaines de minutes, parfois accompagné d’une excellente musique (dont le titre et le groupe sont affichés à l’écran). Une fois à destination, on a juste envie de lui tapoter sur la tête en lui lançant un “Oh, toi alors…” complice… avant de pester de plus belle suite à la prochaine livraison encouragée par Die-Hardman, qui souligne à quel point il serait idiot de ne pas profiter de notre passage pour faire une livraison de médicaments. Gonflé le gars.
Conclusion
Death Stranding en laissera plus d’un sur le carreau, surtout à cause de son côté non-spectaculaire, sa narration sobre, lente et passionnante et ainsi que son gameplay exigeant au niveau des livraisons. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il y a là plus qu’un jeu, c’est une véritable expérience sociale et narrative. L’histoire est puissante, émouvante même, et incarnée par des acteurs excellents. On vit et on souffre avec Sam, à mesure que le voile du Death Stranding se lève sur les vérités du monde et des liens qui unissent les protagonistes. On connait l’oiseau Hideo Kojima, on savait qu’on allait mettre les pieds dans un jeu d’auteur, tortueux aussi, mais sans équivalent.
Death Stranding
- Développeurs Kojima Productions
- Type Aventure
- Support PS4, PC
- Sortie 08 Novembre 2019