A mon sens, il y avait 3 manières de connaître Godzilla. On pouvait tomber sur des films de kaijus dans les années 90 et on s’amusait doucement du gars en costume de caoutchouc qui cassait des maquettes dans une réalisation qui nous rappelait Bioman. Ou on a connu cette funeste période où Puff Daddy chantait “Come with me” sur l’étrange adaptation américaine de Roland Emmerich et on aura retenu que décidément Jean Reno était un mec cool. Ou alors on a découvert le lézard atomique assez récemment à travers le Monsterverse de la Warner et adaptations plutôt décentes de la créature.
Pour ma part, je vous ferais part de ma prochaine expérience dans un autre article, car j’ai eu cette fois-ci à traiter deux livres sur Godzilla, et il faut que je me concentre ici sur cette expérience inédite en français du roman de Shigeru Kayama.
Quand on parle de Godzilla, le premier nom qui vient en tête est celui de Ishirō Honda, le réalisateur du long-métrage de 1954. Mais pour la petite histoire, l’envie de faire un film de monstre est née suite au succès du film du français Eugène Lourié “Le Monstre des Temps Perdus”. Dans ce film, une explosion nucléaire réveille un monstre gigantesque, endormi sous la glace depuis 100 millions d’années et ce dernier atteint Manhattan où il sème le chaos le plus total. On verra ici rapidement le lien avec l’histoire de Godzilla, à ceci près que la créature du film de Lourié avait aussi la particularité de répandre un germe préhistorique, et la seule façon de s’en débarrasser était de le brûler pour éviter une pandémie.
Shigeru Kayama a commencé à écrire en 1940 alors qu’il travaillait pour le ministère des Finances. En 1946, il remporte le premier prix d’un concours organisé par le magazine The Jewel pour une nouvelle nommée Orang Pendek’s Revenge. Continuant à écrire pour le magazine, il reçoit le prix du nouveau venu de l’année décerné par le Detective Story Writers Club of Japan pour sa deuxième œuvre, et décide de se consacrer à plein temps à ce genre littéraire en 1949.
Côté Japon, le producteur de la Toho, Tomoyuki Tanaka, voulait également un film de monstre à succès et a recruté Kayama en 1954 car il écrivait déjà des histoires sur créatures inconnues et mutantes dans ses autres oeuvres.
A peine 9 neuf ans s’étaient écoulés depuis l’horreur de la bombe nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki, aussi Ishiro Honda se saisit de l’occasion pour faire du monstre une allégorie aux essais nucléaires. Il adapta donc l’histoire de Kayama nommée “Le grand monstre venu de 20 000 lieues sous les mers” décrivant une créature marine coulant des bateaux de pêche pour en faire le scénario de Godzilla.
Le roman ici publié par Ynnis Editions regroupe en fait deux histoires, qui serviront de base solide pour les deux premiers films de Godzilla. On pourrait être étonnés de n’y trouver que 300 pages et il est à noter que la seconde histoire “Le retour de Godzilla” est bien plus expéditive que la première. Elle possède néanmoins tout ce qui fera le sel des 50 années à venir, c’est à dire la destruction des réalisations humaines par une créature indestructible, des affrontements contre d’autres créatures géantes (ici il s’agira d’Anguirus) et des histoires plus intimistes du côté des humains. D’à peine une centaine de pages, “Le Retour de Godzilla” est moins intéressant à lire que l’histoire originale, multipliant les personnages tout en leur offrant moins d’exposition, ce qui les rend moins attachants.
L’histoire originale par contre – tout en gardant en tête qu’il s’agit d’une histoire écrite dans les années 50 – revêt un intérêt tout particulier. Plus mystérieuse, plus effrayante, elle tarde à montrer sa créature et en profite pour mettre en scène différents personnages et points de vue sur la menace. En tête de file, le professeur Yamane – que l’on retrouvera dans la seconde histoire – qui souhaite étudier la créature et surtout la manière dont elle a résisté aux ondes radioactives massives des essais nucléaires (le traumatisme des bombes atomiques traverse toute l’histoire), Shinkichi qui veut voir la créature détruite en raison de la perte de sa famille ou encore le mystérieux professeur Serizawa qui cache une arme bien plus destructrice que la bombe atomique. Pendant toute l’histoire, on ressent une certaine culpabilité japonaise suite aux affres de la guerre, tandis que le pays refuse une nouvelle fois d’endosser la responsabilité d’une autre catastrophe mondiale. Ainsi, l’histoire suit une poignée de personnages et prend le temps de les développer, tandis que les attaques de Godzilla – bourreau mais aussi victime – se font de plus en plus dévastatrices.
Les fans du film noteront quelques différences avec le roman, la plus notable restant l’absence de réel triangle amoureux entre Emiko, Shinkichi et Serizawa, élément ajouté au film pour amplifier l’émotion du grand final, qui voit pour la seule fois de la série (il me semble) le monstre vaincu, sacrifiant au passage la seule arme capable de détruire une telle menace.
Un roman qui s’avale rapidement, qui est pour ma part une façon inédite de plonger facilement dans l’univers du roi des Monstres, et qui permet de mieux considérer l’horreur que pouvait représenter ce monstre aux yeux des japonais, moins d’une décennie après la bombe atomique. C’est d’ailleurs la première fois qu’il est édité en français, une occasion à ne pas manquer pour les fans !
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