Upon a Starlit Tide de Kell Woods m’a emporté dans un royaume côtier de 1758, où les vagues chantent des contes anciens et où les étoiles semblent écouter. Ce roman, qui entremêle des éléments de La Petite Sirène, Cendrillon et de folklores bretons moins connus, m’a surpris par sa capacité à déjouer les tropes familiers pour offrir une fresque à la fois intime et prenante.
Une héroïne en quête d’elle-même
Au cœur de cette histoire, il y a Lucinde, une jeune femme trouvée bébé sur une plage par un riche constructeur de navires, qui l’a adoptée comme sa fille. Elle grandit dans une maison où la jalousie de sa sœur adoptive, Lisette, et les attentes d’une belle-mère distante pèsent lourd. Pourtant, Lucinde rêve d’aventure, de prendre la barre d’un navire, une ambition qui heurte les conventions d’une société où les femmes n’ont pas leur place sur les ponts. Son père, figure bienveillante mais parfois naïve, lui offre un bateau en construction, un geste qui allume en elle une flamme d’espoir, mais aussi une cible pour les envieux.
Lucinde est à la fois ancrée dans son monde et attirée par l’inconnu. Sa connexion à la mer, presque viscérale, évoque une mémoire enfouie, un lien avec des créatures mythiques qu’on nomme ici selkies. Ce n’est pas une simple réécriture de La Petite Sirène : Kell Woods donne à Lucinde une voix propre, une quête d’identité qui transcende les contes classiques. Quand elle sauve un jeune homme échoué sur la plage après un naufrage, un acte qui rappelle Ariel sauvant son prince, l’histoire prend un tournant inattendu. Le baiser qu’il lui donne, loin d’être romantique, m’a déstabilisé autant qu’elle. Ce n’est pas l’amour au premier regard qu’on attend, mais une complication, un premier fil dans une toile de mystères.
Un univers où la mer dicte ses lois
Le décor de Upon a Starlit Tide est un personnage à part entière. Nous sommes en 1758, dans un royaume côtier inspiré par la France de la guerre de Sept Ans. Les navires sillonnent les flots, les ports bruissent de commerce, de contrebande et de superstitions. Woods excelle à peindre une atmosphère où chaque vague semble porter une histoire. Les descriptions, d’une prose lyrique sans être surchargée, nous plongent dans un monde où l’odeur du sel se mêle à celle du bois verni des chantiers navals.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’intégration des superstitions maritimes. Ne pas peigner ses cheveux après le crépuscule, de peur de déchaîner les tempêtes. Sauver une âme à la mer, et devoir une autre à l’océan, comme si chaque vie arrachée aux flots portait une dette. Ces croyances, ancrées dans le folklore, donnent au récit une texture authentique qui m’a fasciné. Les créatures marines, loin des clichés de sirènes vaniteuses, utilisent des miroirs non pour leur beauté, mais pour lire le temps ou anticiper le danger. Leurs peignes, dit-on, invoquent les tempêtes. Ces détails, tirés de traditions bretonnes et britanniques, enrichissent l’univers et nous rappellent que la mer n’est jamais neutre : elle donne, elle prend, elle juge.
Une narration qui déjoue les attentes
L’intrigue de Upon a Starlit Tide joue avec les attentes, et c’est là sa grande force. Au début, j’ai cru reconnaître les contours familiers des contes de fées : une héroïne opprimée, une sœur jalouse, un bal où tout pourrait basculer. Mais Woods ne se contente pas de réchauffer de vieilles recettes. Prenons l’élément Cendrillon : Lucinde doit assister à un bal, un rite social où sa famille espère se faire remarquer. Pourtant, elle n’est pas là pour séduire un prince ou s’échapper par la magie. Quand sa robe est détruite, un acte que j’ai d’abord attribué à la mesquinerie de Lisette, l’histoire m’a surpris. Lisette, loin d’être une méchante caricaturale, confesse sa jalousie mais nie le crime. Ce mystère m’a alors vraiment intrigué, me poussant à questionner chaque personnage, chaque mobile.
Des personnages aux multiples facettes
Les personnages secondaires enrichissent le récit sans jamais voler la vedette à Lucinde. Son père adoptif, un homme de pouvoir mais d’une tendresse désarmante, incarne une figure paternelle rare dans les contes : il croit en sa fille, même s’il ne comprend pas toujours ses désirs. Lisette, la sœur jalouse, aurait pu être une caricature, mais Woods lui donne une humanité complexe. Sa jalousie n’est pas gratuite, elle naît d’un sentiment d’infériorité face à l’héroïne, choisie et aimée par leur père. La belle-mère, quant à elle, reste en retrait, mais son influence pèse sur la dynamique familiale, comme une ombre discrète.
Le jeune naufragé sauvé par Lucinde, dont je tairai l’identité pour éviter les spoilers, apporte une touche de mystère. Son arrivée déclenche une série d’événements qui mêlent politique, magie et secrets enfouis. Les créatures féeriques ajoutent une dimension surnaturelle sans jamais tomber dans l’excès. Leur présence, discrète et menaçante, rappelle que ce monde n’appartient pas qu’aux humains.
Le style de Kell Woods est l’un des piliers de ce roman. Sa prose, souvent comparée à du réalisme magique, flirte avec la poésie sans perdre en clarté. Les descriptions de la mer, des falaises battues par les vagues, ou des nuits éclairées par la lune m’ont transporté. J’ai ressenti le sel sur ma peau, entendu le craquement des mâts sous le vent. Pourtant, par moments, cette richesse descriptive peut ralentir le rythme, surtout dans les premiers chapitres, où l’intrigue met du temps à s’installer. Certains lecteurs pourraient trouver ces passages trop contemplatifs.
Thèmes et résonances modernes
Upon a Starlit Tide ne se contente pas de revisiter des contes. Il explore des thèmes universels : l’identité, la liberté, le poids des traditions. Lucinde, en tant que femme aspirant à un rôle réservé aux hommes, incarne une lutte féministe subtile mais puissante. Elle ne brandit pas de discours, mais ses actions – prendre la mer, défier les attentes – parlent d’elles-mêmes. Le roman questionne aussi notre rapport à l’origine : d’où venons-nous, et comment cela façonne-t-il qui nous sommes ?
La jalousie, incarnée par Lisette, n’est pas juste un moteur narratif. Elle reflète des tensions humaines universelles : le sentiment de ne pas être assez, de vivre dans l’ombre d’un autre. Même les superstitions maritimes, si ancrées dans le folklore, résonnent avec notre besoin de donner du sens à l’inconnu. Qui n’a jamais cherché un signe dans les étoiles ou craint de défier une force plus grande que soi ?
Le roman brille par sa capacité à surprendre. Les twists, notamment autour de la destruction de la robe de Lucinde ou des secrets de son passé, m’ont tenu en haleine. Chaque révélation semble logique a posteriori, comme si Woods avait semé des indices dès les premières pages. L’intégration des folklores bretons, comme le conte du cordonnier et de la sirène, donne une authenticité rare aux récits de fantasy. Et que dire de la mer, omniprésente, qui devient presque un miroir des émotions de Lucinde ?
Pourtant, tout n’est pas parfait. Le début, un peu lent, risque de décourager ceux qui cherchent une action immédiate. L’épilogue, sans trop en révéler, m’a semblé superflu. Après un climax riche en émotions, la séparation temporaire des personnages principaux, suivie d’une réunion rapide, m’a laissé perplexe. Était-ce vraiment nécessaire ? J’aurais préféré une conclusion plus épurée, qui laisse la fin ouverte sans ce détour artificiel.
Upon a Starlit Tide m’a marqué par sa capacité à mêler l’intime et l’épique, le réel et le mythique. Kell Woods signe ici un premier roman audacieux, qui prend des risques en détournant les contes de fées pour mieux nous parler de nous-mêmes. Ce n’est pas une lecture sans défauts, mais ses qualités – une héroïne intéressante, un univers envoûtant, une prose qui chante comme les vagues – en font une œuvre à découvrir. Pour nous, qui aimons les récits où la magie se mêle à la quête de liberté, ce roman est une invitation à plonger, à écouter la mer, à chercher nos propres réponses sous les étoiles.