L’année dernière, 404 Editions publiait en français Cursed, un recueil d’histoires sombres et envoûtantes sous la houlette de Neil Gaiman. Cette année, les lecteurs se retrouvent une nouvelle fois ensorcelés par une seconde vague de récits maudits avec Twice Cursed. Si le premier volume revisitait les malédictions sous un prisme déjà assez sinistre, cette nouvelle collection s’impose avec encore d’audace, explorant les recoins les plus obscurs du fantastique et de l’horreur.

Attention cependant, cette lecture est déconseillée au moins de 16 ans, car les thématiques sont liées au meurtre, au viol, au deuil, à la mutilation, à la dépression ou au suicide. Je trouve cette classification un peu exagérée en refermant le livre, mais que les personnes sensibles à ces thématiques soient prévenues.

L’anthologie, dirigée par Paul Kane et Marie O’Regan, rassemble des auteurs reconnus du genre, tels que Neil Gaiman, M.R. Carey, Joe Hill, Angela Slatter, Laura Purcell et A.C. Wise, pour ne citer qu’eux. Le principe est simple, mais efficace : jouer avec l’idée de la malédiction sous toutes ses formes. Qu’elle soit imposée, héritée, subie ou désirée, chaque histoire se l’approprie différemment et en tire ses propres conclusions.

Les seize auteurs réunis dans ce volume démontrent chacun à leur manière que la malédiction est un thème inépuisable, capable de prendre mille visages. La plume de chaque écrivain oscille entre horreur viscérale, fantastique sombre et ironie mordante.

Dès le départ, Twice Cursed se distingue de son prédécesseur en optant pour une entrée en matière plus subtile. Là où Cursed ouvrait sur une relecture de Blanche-Neige, ce second opus démarre par un court récit de Joanne Harris, avant de revenir sur le conte classique via une réinterprétation brillante où la méchante belle-mère devient l’héroïne tragique, tentant de sauver son royaume d’une princesse transformée en créature vampirique. Une perspective habilement renversée qui prouve une fois encore la maîtrise narrative de Gaiman, que vous pouvez par ailleurs retrouver en roman graphique sous le nom de « Blanche-Neige, rouge sang » chez Black River.

Là où Twice Cursed frappe fort, c’est dans la variété de ses histoires. Certains récits s’ancrent dans des mondes fantastiques aux allures de cauchemars féeriques, comme dans ce conte d’un autre temps, où Arkaday Melanov grandit sans langue, dont la cause de la mutilation oscille entre loup sauvage et folie maternelle. Devenu adulte, il devient le réceptacle des secrets des autres, mais un artefact en os qu’il reçoit après la mort de son père va transformer ces confessions en sentences mortelles. Ce récit, à la fois cruel et surprenant, s’inscrit dans la lignée des meilleures réécritures de contes horrifiques.

Mais la force de cette anthologie réside aussi dans sa capacité à s’éloigner du pur fantastique pour explorer des malédictions ancrées dans la réalité contemporaine. J’ai bien apprécié Monsieur 13 de M.R. Carey qui a vraiment titillé mon imagination. On y suit un groupe de soutien pour individus maudits dans un monde contemporain où les malédictions sont à la fois tragiques et monnaie-courante. On y croise un homme dont le corps se désagrège en fils, comme une élégante lèpre, une femme condamnée à transmettre sa malédiction sous peine de mourir, une autre qui possède une seconde bouche qui ne cache rien de ses pensées intimes, ou encore un personnage dont la nourriture se transforme en cendres de plus en plus rapidement. Quand un nouvel arrivant, immortel depuis des siècles, intègre le groupe sous le pseudonyme de Monsieur 13, la dynamique bascule vers quelque chose d’inattendu.

Si certaines nouvelles plongent dans l’angoisse pure, d’autres s’amusent avec le concept, comme celle dans laquelle l’intrigue suit une jeune femme dont la famille a la capacité d’annuler les malédictions attachées aux objets. Lorsqu’elle décide de trouver une poupée hantée inoffensive pour sa sœur passionnée par ces objets, elle réalise rapidement qu’elle a sous-estimé la portée du sort qui pèse sur cette dernière. Un récit qui, tout en jouant avec les codes du surnaturel, flirte avec le registre du thriller et de la comédie noire.

Dans un registre plus glaçant, On revisite le mythe de la fête foraine maudite. En 1994, un groupe d’amis profite d’un dernier été ensemble avant d’entrer dans l’âge adulte. Leur passage sur un manège aux créatures cauchemardesques va déclencher une série d’événements terrifiants. Plus lente, l’histoire prend le temps d’installer ses personnages et leur dynamique avant de plonger dans l’horreur, rendant la chute d’autant plus brutale.

Là où Twice Cursed brille, c’est dans son équilibre entre hommage aux contes classiques et innovation narrative. Certains récits puisent directement dans la tradition des contes de fées, tandis que d’autres s’ancrent dans des contextes modernes, où la malédiction devient plutôt une métaphore. L’anthologie ne recycle pas les motifs du premier volume, mais explore de nouvelles pistes, proposant des angles originaux et souvent inattendus.

Avec Twice Cursed, Marie O’Regan et Paul Kane livrent un recueil fascinant. Si vous êtes amateurs de récits sombres, de réécritures de contes ou simplement curieux de voir comment des auteurs réinterprètent la notion de malédiction, cette anthologie est faite pour vous.

L’objet : L’illustration et la couverture

La couverture de Twice Cursed dégage quelque chose d’à la fois sinistre et fascinant. Sur l’illustration centrale, un médaillon circulaire renferme la silhouette inquiétante d’une créature tapie dans un marécage. Son dos voûté et ses oreilles pointues me laissent imaginer un univers peuplé de bêtes surnaturelles, où le moindre faux pas peut conduire à une malédiction éternelle.

Sur la bordure de la couverture, on remarque la richesse des motifs ornementaux. Des arabesques complexes, presque baroques, s’enroulent tout autour du cadre et évoquent de vieux grimoires, ces livres de sortilèges dont les pages regorgent de secrets interdits. Et pourtant, malgré l’élégance apparente, l’ensemble reste sombre, comme si le livre voulait déjà nous avertir : ici, il ne sera pas question de fin heureuse.

J’aime particulièrement la palette de couleurs. Contrairement à la couverture immaculée du premier volume, le rouge domine sans partage et instaure une atmosphère de danger, de sang et de passion.

Le noir, quant à lui, renforce les contours et fait ressortir chaque élément important : la bête centrale, le titre, et ces fines arabesques qui rappellent un univers gothique.

Le titre “Twice Cursed” saute immédiatement aux yeux. J’adore la typographie choisie : épaisse, courbée et presque menaçante. J’avoue que la phrase “Et ils furent malheureux à jamais…” m’a arraché un sourire nerveux : elle détourne la fameuse formule des contes de fées et nous invite clairement à une expérience littéraire plus macabre qu’on ne l’imagine.

En fin de compte, cette couverture me semble parfaitement réussir sa mission : elle attire l’œil, instille un malaise subtil et annonce la couleur (ou plutôt le rouge). Elle laisse présager des récits sombres, entre horreur et contes revisités, où, visiblement, personne ne vivra heureux très longtemps.

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Titiks

Quadra assumé, daron de 3 apprenties gameuses, fan de tout ce qui est capable de raconter une bonne histoire. Touche-à-tout, mais surtout de bonnes aventures qui savent surprendre, et dévoué à l'univers console depuis que Sega était plus fort que tout, vous me verrez bien plus souvent connecté à la nuit tombée #2AMFather.

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