Est-il encore nécessaire d’écrire un test sur The Last Guardian ? Dans l’affirmative, on se contenterait de dire que le jeu dure en moyenne une bonne douzaine d’heures la première fois, qu’il a un framerate vacillant et qu’il s’agit principalement d’un jeu de plateforme / énigme assez cryptique.
Voilà, fin du test.
Car je pense qu’on est ici face à l’un des rares titres qu’il est impossible de “tester”. Tester, c’est essayer, voir les limites, les possibilités et en rendre compte. Critiquer, c’est donner un avis, souvent subjectif, sur des facteurs précis et définis, voire exprimer un ressenti.
Trico, mon ami, comme si quantifier une relation avait un quelconque sens.
Que tout cela est vain.
Ico
Même si son créateur s’en défend, The Last Guardian trace une sorte de continuité avec ses deux oeuvres précédentes. Avec Ico d’abord, dans la mise en place d’une relation entre deux protagonistes, l’un capable de se défendre, l’autre nécessaire pour débloquer des chemins. Dans The Last Guardian, le joueur incarne le jeune garçon, capable de se faufiler partout, mais complètement vulnérable aux étranges armures vivantes qui n’auront de cesse de vouloir le capturer – un peu comme la jeune fille d’Ico. Il faudra compter sur Trico, cet animal qui a son propre caractère et comportement, pour venir à bout de la menace.
Mais ne soyez pas trop confiant, car même cette puissante créature possède ses faiblesses et ses peurs, qui demanderont à l’enfant d’agir lui-même au cœur de la mêlée pour l’aider. Une complémentarité, une harmonie parfaite qui se dessine alors entre ces deux personnages, le premier contrôlé par le joueur, littéralement son extension, le second ayant son propre libre arbitre au départ, qu’il va falloir apprivoiser avant d’espérer se faire comprendre efficacement.
Une continuité également dans le monde parcouru, son folklore. L’étrange vallée dans laquelle nous nous réveillons a des airs de déjà vu, et semble être une rajoute à la plaine vide parcourue par Wanda dans sa chasse aux colosses. Ces êtres de pierre dont nous voyons ici une variante à échelle humaine avec ces armures vides qui s’éveillent à votre approche pour vous capturer.
Wanda
Les cornes ensuite, véritable fil rouge de la Trilogie Ueda, comme nous la nommerons. Ces cornes qui sont au cœur de la malédiction d’Ico, et qui symbolisent la faute de Wanda dans sa nouvelle vie. Ici, Trico a les cornes brisées au début de l’aventure, mais celles-ci – comme le reste de son corps – vont se régénérer au fil du temps. Brillantes, elles semblent être une faiblesse et le symbole de son libre arbitre. Sans elles, l’animal n’est plus soumis au dictat du Gardien sans pour autant lui échapper totalement, et peut développer une relation puissante et loyale avec l’enfant.
Comment ne pas faire lien avec le rapport d’échelle commun aux trois jeux, Ico imposant sur une forteresse immense écrasant ses enfants, Shadow of the Colossus nous renvoyant au niveau d’un parasite minuscule et mortel devant s’accrocher aux géants, et The Last Gardian jouant sans cesse sur le rapport de taille entre l’enfant et l’animal, et sur celui entre nos deux protagonistes et les lieux visités. Le joueur n’aura aussi de cesse de grimper sur l’animal – sans jauge d’endurance cette fois puisqu’aucune indication ne vient habiller l’écran de jeu – soit pour fuir une menace, soit pour profiter des bonds gigantesques de Trico pour atteindre une nouvelle zone. Peu à peu, on découvre comment communiquer avec lui, quel geste faire à quel moment et à quel endroit.
Tantôt escarpée ou vacillante, majestueuse ou oppressante, l’architecture des ruines de la Vallée exerce une fascination certaine lorsqu’il s’agit de sauter par-dessus le vide ou atteindre un mécanisme sur des structures fragiles. Et quand tout s’effondre, on fuit vers l’animal, espérant que son agilité nous sortira de la situation, ou qu’il nous rattrapera au vol. Mais il arrivera que nous atterrissions dans des endroits déjà traversés plusieurs heures auparavant, révélant alors la géographie des lieux, immense labyrinthe abandonné, mais cohérent et témoignant d’un autre temps mythique. Loin de nous frustrer, ces retours en arrière nous permettent de connecter les lieux entre-eux, et de progresser plus rapidement grâce à un nouvel accessoire (l’étrange bouclier commandant à la queue laser de Trico) ou de nouvelles possibilités (Trico est sans doute en meilleure forme maintenant qu’il ne l’était au premier passage…).
Trico
Il n’y a pas à proprement parler de choix dans la route à prendre, l’aventure étant – au sens strict – extrêmement linéaire. Pourtant, là où d’autres productions vous distillent sans cesse des indices visuels, la création d’Ueda vous laisse explorer, chercher, et trouver le chemin. Vous êtes coincé dans une grande salle, alors que Trico reste en arrière bloqué par une ouverture trop étroite pour lui ? Peut-être faut-il chercher un chemin seul et se retrouver plus tard, ou trouver une autre entrée plus grande pour lui en revenant en arrière ? La corniche là-haut semble mener à un étroit passage dans la roche, mais sans l’aide de votre ami, vous ne pourrez pas l’atteindre. Parviendrez-vous à lui faire comprendre comment se placer pour vous aider ? Chaque nouvelle salle paraît offrir de nouvelles possibilités d’interactions avec les décors et l’imposante créature, et il est toujours gratifiant d’avoir la sensation d’avoir découvert la route nous-même.
Seul bémol à ce système, le jeu nous rappelle sans cesse comment jouer, indiquant à l’écran comment descendre, grimper, appeler… sans que cela ne soit désactivable. Une concession moderne mais maladroite pour ne pas perdre le jouer de 2016, pour qui The Last Guardian représente une anomalie temporelle.
On parlera encore de The Last Guardian dans 10 ans comme l’un des rares titres à avoir réussi à insuffler une âme dans des lignes de code.
Une anomalie dans les contrôles, tant l’enfant est lourd à diriger, trébuche, voit ses animations de mouvements rallongées par l’animation. Ce que l’on perd en réactivité – concept assez peu utile ici – on le gagne pourtant en immersion. Les chutes sont lourdes, les mécanismes enrayés et se remettre sur ses pieds demande du temps. En découlent certains moments de flottement, où l’enfant, piégé dans une cage et seul dans un Nid, tente vainement pendant plusieurs minutes de se libérer. Un véritable sentiment de solitude, presque d’abandon en ressort alors. Séparé de Trico, on comprend que nous ne sommes finalement pas grand chose sans ses coups de pattes dévastateurs ou sa crinière pour nous abriter. L’animal lui-même a besoin de l’enfant pour le guider, le calmer, et même le soigner alors que les lances percent sa chair lors des combats.
Perdu, nous le sommes aussi quand notre protecteur se retourne violemment contre nous à certains moments, ou quand il est énervé après un combat et qu’il nous faut l’apaiser d’une caresse sur le dos alors qu’il se débat. Perdu enfin, quand nous assistons avec inquiétude aux doutes de la créature essayant vainement de réveiller son compagnon inconscient.
Voir Trico gémir doucement, porter son ami au soleil pour le réchauffer, s’inquiéter, le secouer pour enfin lui plonger le visage dans l’eau a quelque chose de tendre. La scène prend son temps, sans avoir peur de jouer avec notre patience, et nous fait ressentir au final un sentiment proche de l’animal : s’il te plait, réveille toi, continuons la route !
Et si le titre propose des phases d’exploration, des moments plus intimes ou plus mystérieux, il n’oublie pas de nous régaler avec des passages épiques ou majestueux, des combats spectaculaires sous la forme d’énigmes à résoudre, toujours très fluides et passionnants, quand ce ne sont pas avec de beaux moments de bravoure où l’animal se dépasse par loyauté et amour pour l’enfant.
Ce dernier segment est aussi plus clair scénaristiquement, dévoilant ses enjeux narratifs à certains moments clés, de façon plus explicites, mais en sachant garder une part de mystère. Ainsi, vous saurez comment l’enfant et l’animal sont arrivés dans cette grotte, mais c’est à peu près tout. Car si le titre mentionne « Le Dernier Gardien », il semble clair qu’il ne désigne ni l’enfant ni la créature… Ce Gardien de la Vallée réserve aussi son lot de fascination, de questionnements et de peurs. Dans The Last Guardian aussi, nous n’avons pas toutes les clés de lecture, l’interprétation est ici aussi laissée au libre jugement des joueurs, avec assez de données et de zones d’ombre pour fabriquer sa propre version.
Conclusion
On se posait la question de la pertinence de The Last Guardian en 2016. Pataud dans son gameplay, cabossé dans son framerate et casse-pied dans sa gestion de la caméra, il fait partie de ces titres hypnotisants, automatiquement culte, qui laisse une trace profonde dans le jeu vidéo. Un jeu qui n’aurait jamais dû voir le jour en 2016, mais qui a persévéré pour nous proposer une vision, un moment à partager, une aventure magnifique et intemporelle. Comme ses deux prédécesseurs, The Last Guardian est aussi peu pertinent maintenant qu’il le sera dans 10 ans. Il agacera toujours les joueurs pour les mêmes choses, mais on en parlera encore comme l’un des rares titre à avoir réussi à insuffler une âme dans des lignes de code. Et rien que pour voyager et rêver, on attendra encore une décennie si il le faut.
The Last Guardian
- Développeurs Sony
- Type Stand By Me
- Support PS4
- Sortie 07 Décembre 2016
Y’a bon!
- L’univers en général, mystique
- Le comportement ahurissant de cohérence de Trico
- Le Level-design
- L’aventure, digne d’un conte ancestral
- Une durée de vie pour un premier run solide
Beuargh!
- Une caméra qui peut être réfractaire
- Des soucis de fluidité (PS4 standard)
- Des conseils de gameplay envahissants et non-désactivables