Fin 2006, les joueurs Playstation 2 étaient en extase suite à la fin de Kingdom Hearts 2, et surtout à sa fin secrète mettant en scène 3 guerriers inconnus sur un champs de bataille jonché de Keyblades. Si la fin secrète de Kingdom Hearts premier du nom avait déjà servi son lot de surprise, cette nouvelle fin menait la série vers d’autres horizons et une vraie mythologie complexe. Avec Kingdom Hearts III, Tetsuya Nomura clos un chapitre de son épopée, celle des Chercheurs des Ténèbres, avec la lourde tâche de devoir expliquer beaucoup de choses avec cohérence tout en préparant le terrain pour une suite.
Les porteurs de la Keyblade
Car oui, il s’agit ici non pas de la fin de Kingdom Hearts, mais seulement du chapitre final de l’affrontement contre Xehanort dans sa quête pour Kingdom Hearts. Alors autant vous prévenir tout de suite : inutile de vous lancer dans cet épisode sans au minimum avoir terminé les deux épisodes numérotés de la série, ainsi que l’épisode Birth By Sleep sur PSP et au moins 358/2 Days sur DS. Ah et puis ajoutez-y Kingdom Hearts 2.8, Dream Drop Distance et Chain of Memories, voire Coded et Union X pour comprendre tout ce qui va se dérouler sous vos yeux.
En effet, si la première partie du titre vogue allègrement dans les mondes Disney sans trop nous perdre, la dernière partie du jeu va vous demander de reconnecter toutes les données acquises dans les jeux précédents; parfois insérées aux forceps pour certains, saupoudrées de “Réfléchis pas, c’est magique” par moment.
Donc c’est bien préparé et en ayant révisé vos Disney en prime que vous pouvez vous lancer dans ce troisième épisode de la licence, 13 ans après la fin du second opus. Facile d’accès Kingdom Hearts ? Pas vraiment.
Premier constat : peu de choses ont été faites dans les contrôles pour s’adapter aux Action-RPG sortis cette dernière décennies. En effet, outre une caméra un peu lente à replacer soi-même ou qui s’affole parfois pendant les combats. Sans pouvoir réattribuer les touches, les premières heures sont un peu complexes à prendre en main tant on les confond, habitués que nous sommes à plusieurs Action-RPG. Et pour être honnête, les premiers contacts avec le jeu se sont révélés décevants.
D’abord car nous sommes projetés sans trop de falbalas à une réunion entre beaucoup de personnages partant dans une quête assez complexe à expliquer, même si elle peut se résumer en un sauvetage de 3 porteurs de la Keyblade : Aqua, Terra et Ventus. Et c’est globalement un reproche qu’on pourrait faire à l’ensemble du jeu : que de dialogues pompeux pour dire au final peu de choses. Concrètement, ce n’est pas parce qu’on écrit une dissertation sur une blague de Toto qu’elle en gagne subitement en profondeur. Et que de niaiseries de la part de Sora, qui clame à chaque rencontre le pouvoir de l’amitié et du cœur. Il est censé avoir un peu mûri durant ses aventures, et ce discours me semble maintenant très limité. Cela est-il à mettre en relation avec l’absence – presque – totale de références aux univers de Square-Enix au profit des mondes de Disney ? Exit Auron, Tidus, Squall (Leon) ou autre Aerith, ce qui pourrait en décevoir quelques-uns.
Disney Universe
Cela dit, vu la quantité importante de personnages, cet écrémage est sans doute salutaire. Car entre les différents personnages, leurs déclinaisons Sans-Cœur et Simili ou leurs versions venues de différentes époques, on commence à s’y perdre. Les univers Disney quant à eux sont assez variés, mais l’on commence sans doute par celui qui rend le moins bien – L’Olympe. Est-ce dû à sa récurrence dans la série ? A quelques exceptions près, ce premier monde visité donne une piètre image de l’utilisation de l’Unreal Engine 4, un peu à l’image du dernier SoulCalibur. Des environnements trop grands, fades, vides et manquant d’éclat. Heureusement, le constat s’améliore grandement une fois en route vers les autres mondes. Ils sont au nombre de 7, à savoir le Royaume de Corona (Raiponce), Arendelle (La Reine des Neiges), San Fansokyo (Les Nouveaux Héros), les Caraïbes (Pirates des Caraïbes), l’Olympe (Hercule), Toy Box (Toy Story) et Monstropolis (Monstres et Cie), auxquels viennent s’ajouter la Cité du Crépuscule, le Monde-Livre de Winnie l’Ourson (totalement facultatif d’ailleurs) et des mondes déjà connus issus de la série en fin de parcours (on ne va pas trop spoiler non plus).
Et de ce côté, la réalisation graphique parvient à nous convaincre davantage, que cela soit dans la rigueur de la recréation des mondes que dans l’intégration de Sora et sa bande dans l’univers graphique et narratif des récits visités. Vous tomberez parfois au début de l’intrigue des films, parfois en plein milieu, ou même après les aventures contées dans les longs-métrages. Sans réels résumés de ces derniers, mieux vaut partir préparé pour profiter des références et sous-intrigues qui vous seront présentées dans les niveaux.
Cependant, ces dernières font assez peu avancer l’histoire principale, se résumant à des observations de l’Organisation XIII sur ces mondes, ces derniers s’alliant parfois aux “méchants” des films pour servir leurs intérêts. De plus, la construction narrative de ces mondes est constamment la même, avec l’arrivée à un moment précis de l’histoire, l’attaque des Sans-Cœur, l’apparition d’un membre de l’Organisation (et accrochez-vous, car c’est un festival), l’explication de sa présence, l’alliance avec le méchant et la création du gros boss de fin de niveau.
Chaque monde Disney peut ainsi être pris comme une petite intrigue parallèle qui ne donne que peu d’indications sur la trame générale. Les événements majeurs prennent plutôt place dans les passages entre ces mondes, les cinématiques (superbes) et les phases jouables avec d’autres personnages. Un peu comme dans Final Fantasy XV, Sora semble juste en quête du pouvoir de l’éveil et tombe par hasard sur les Sans-Cœur pendant que Mickey et Riku progressent dans l’intrigue. Petite déception pour une Kairi qu’on aurait aimé voir plus active, la pauvre étant reléguée majoritairement à des scènes de dialogues laconiques avec Axel/Lea ou servant de Princesse Saori pour un Sora parfois perdu ou désespéré.
Je mentirais en disant que je n’ai pas pris beaucoup de plaisir à profiter de nouveau des histoires des films Disney – d’autant que certains passages iconiques sont reproduits et adaptés avec un très grand soin, comme le Royaume de Corona ou la chanson mythique “Let it Go” tandis qu’Elsa gravit la montagne. On en apprend un peu plus sur le final de Big Hero Six et le devenir de Baymax premier modèle, et tout ça respire bon la naïveté et la bonne humeur propre aux productions Disney, même si l’on assiste à quelques drames. C’est une fois le dernier monde atteint que Kingdom Hearts III réalise qu’il a un tas de sous-intrigues et de personnages à traiter, et finit par nous les expédier deux par deux lors d’un boss rush riche en résolutions dans lequel presque tous les personnages trouvent une conclusion à leur histoire – merci les Deus Ex Machina – intégrant au passage des références au jeu mobile [x] qui – pour le coup – trouve une jolie justification.
Chaque monde possède en prime ses petites spécificités ou phases de gameplay propres, comme du Snow Board amélioré à Arendelle, des méchas dans la Toy Box ou des batailles navales dans les Caraïbes. Chaque monde nous invite à le revisiter plus tard pour découvrir ce qu’il a a offrir qui ne s’intégrait pas à la trame principale, en plus des symboles de Mickey à photographier pour débloquer la fin secrète – véritable institution de la série. Les fameux Rapports Perdus – des notes éclairant sur la grande trame principale – peuvent aussi être récupérés en post-game et donnent quelques informations bienvenues sur le final quelque peu déroutant du jeu.
Au niveau des doublages, on regrette amèrement l’excellent travail qui avait été réalisé sur la version française des deux premiers volets, mais globalement, c’est un élément que l’on oublie assez vite tant le travail est aussi de qualité. Les musiques mélangeant les compositions phares de la série sont toujours d’excellente facture et les thèmes épiques se succèdent dans les moments les plus forts de l’histoire. Sur PS4 standard, le framerate n’est pas toujours très stable, mais on apprécie d’avoir une option graphique pour une fois qui nous laisse le choix entre l’optimisation de la fluidité ou la qualité des textures, option rare sur la première PS4.
Côté gameplay par contre, on sent que l’accent a été mis sur le grand spectacle avant tout. Rarement un jeu de la saga n’a prôné le mono-touche ! Globalement Sora enchaîne les Sans-Cœur sans relâche avec simplement une touche à marteler. Plus il monte de niveau, plus il débloque les compétences qu’il a perdue au cours de son aventure précédente, qui lui permettent de contre-attaquer, de se rétablir après un coup, de sauter plus haut et autre, et il faut avouer que c’est un plaisir de le voir virevolter dans tous les sens. Sans que l’on comprenne trop d’où cela lui vient, il est ponctuellement capable d’invoquer des attractions spectaculaires de DisneyWorld au cours des combats afin de faire beaucoup de dégâts. Bateau pirate, tasses tournantes, train… un peu hors de propos, ces invocations permettent néanmoins de faire un sacré ménage dans les hordes d’ennemis. De plus, des actions conjointes peuvent aussi être déclenchées avec vos alliés de toujours (Donald et Dingo) ou occasionnels (ceux des mondes visités) pour toujours plus d’efficacité.
Outre les capacités magiques de Sora qui se développent au fil de leur utilisation (plus ils sont utilisés, plus les sorts évoluent) et les invocations de Liens visuellement magnifiques mais concrètement peu utiles des héros de Disney (Ariel, Ralph, Stitch, Simba…), chaque Keyblade peut également évoluer en cours de combat. Concrètement, plus il frappe, plus Sora remplit une jauge qui, une fois pleine, permet de faire évoluer provisoirement la Keyblade vers sa première transformation, débloquant de nouveaux combos. Une seconde forme Ultime est alors accessible, permettant l’utilisation d’une attaque très puissante, faisant revenir la Keyblade à son état d’origine. Sora pouvant s’équiper de 3 Keyblades et passer de l’une à l’autre en cours de combat, un semblant de stratégie arrive alors, principalement contre les boss et sous-boss. Ces derniers sont souvent énormes (à part ceux de l’Organisation XIII) et possèdent plusieurs phases où changer d’approche devient utile. Enfin, les Keyblades peuvent être améliorées à l’Atelier Mog contre des ressources ramassées, que cela soit dans les mondes, en récompenses de minis-jeux ou à bord du vaisseau Gummi.
Véritables plaies dans le premier Kingdom Hearts, les phases en Vaisseau Gummi ont pris ici du galon pour nous proposer 3 vastes zones à visiter librement pour rejoindre un nouveau monde, affronter des vaisseaux Sans-Cœur dans un jeu de tir très arcade, mais aussi de très grands boss qui nécessitent une amélioration constante du vaisseau via l’atelier. Il est également possible d’y ramasser de nombreuses ressources et Munnies (la monnaie du jeu) pour la partie fabrication et certaines zones vous demanderont un type précis de vaisseau pour être découvertes. On y évolue alors avec bien plus de plaisir que dans les couloirs des précédents jeux, avec des trésors à ramasser et des surprises cachées sous les amas rocheux. Niveau mini-jeux, on comptera aussi avec la cuisine, puisqu’une récolte d’ingrédients à travers les différents mondes vous permettra de créer de nombreux plats afin de booster provisoirement vos statistiques.
Conclusion
On termine ce Kingdom Hearts III avec autant de satisfaction que de déception. On reste vraiment conquis par le respect des œuvres de Disney et par la générosité du jeu, qui offre vraiment de la variété de décors et d’activités propres à chaque monde traversé. S’il ne casse pas trois pattes à un Donald dans les premières heures, le gameplay s’étoffe néanmoins suffisamment pour qu’on puisse jongler avec les capacités offertes, même si on aurait apprécié un peu plus de profondeur dans le gameplay pour ressentir la nécessité de varier les stratégies. Par contre, niveau scénario, on reste assez perplexe face aux explications fournies et aux nouveaux mystères qui restent en suspens. On pense aux passages complètement inutiles de Maléfique et Pat à la recherche d’une « boîte » pendant tout le jeu, boîte dont il est uniquement question dans la cinématique « [x] Back Cover » et qui ne trouvera qu’un écho fade dans la cinématique post-générique, on se pose beaucoup de questions après le visionnage de la cinématique secrète qui nous inquiète beaucoup pour la suite et dont quelques bribes sont lâchées dans les Rapports Perdus et dans « [x] Back Cover » également. Et même si on regrette de ne pas avoir eu une Kairi enfin active, Kingdom Hearts III reste un excellent divertissement qui se prend un peu trop la tête. Nomura a accouché d’une bête tentaculaire qu’il semble avoir bien du mal à maîtriser et on espère ne pas avoir à attendre une nouvelle décennie pour retrouver les Porteurs de Keyblades et en finir avec ces mystérieux Oracles.
Kingdom Hearts III
- Développeurs Square-Enix
- Type Action RPG
- Support PS4, Xbox One
- Sortie 29 Janvier 2019