Quand les films se mettent à parler de jeux vidéo, c’est rarement avec de bonnes intentions, prise au sérieux de leur cible et plus généralement sans réelle bienveillance. Les premiers retours à propos de l’adaptation du roman Ready Player One (Player One en français) étaient plus enthousiastes et la présence de Steven Spielberg derrière la caméra fleurait bon le travail de qualité, ce qui – en terme de réalisation – s’avère tout au long du métrage.

Attention, la suite de cet article contient des révélations sur le scénario et certaines scènes clés du film, je vous conseille donc de lire cet avis après le visionnage de Ready Player One, parce que ça va spoiler sévère.

Apprêtez-vous à en prendre visuellement plein la tronche

Légende de Perceval 3.0

La narration prend place en 2045 dans un avenir qui a abandonné la réalité au profit de l’espace virtuel Oasis. La mise en place de l’univers réel est assez intéressante, puisque le héros Wade Watts est un ado comme les autres nés comme il le dit “après que l’humanité ait cessé d’essayer de résoudre les problèmes pour simplement s’en accommoder”. En résultent un monde réel dégradé, pollué et dont plus personne n’a rien à faire. On n’en saura guère plus tout au long de l’aventure, se concentrant sur une ville des Etats-Unis où règne une société toute puissante nommée IOI, et dont une partie est composée des Piliers, un amas de containers entassés en tours de fortunes où vit la population la moins favorisée.

Engoncés dans leur quelques mètres carrés, les gens se connectent sans cesse à l’Oasis, l’espace virtuel créé par James Halliday, décédé 5 ans avant le début du film. Dans ce monde, on peut devenir qui l’on veut, rencontrer qui l’on veut et même gagner sa vie. Mais attention : en cas de mort de l’avatar, tout son inventaire est perdu et ses possessions peuvent être récupérées par les joueurs autour. Une sorte de Permadeath obligeant les personnes connectées à plus de prudence pendant qu’ils parcourent l’Oasis. Concept au final assez peu exploité puisqu’aucun PK ne pointe le bout de son nez, si ce n’est un mercenaire engagé par la méchante corporation. Idem pour toutes les dérives déjà connues de nos jours dans les univers virtuel, l’Oasis étant comme une projection parfaite et fantasmée de Spielberg faisant fi des comportements humains déviants encouragés par l’anonymat.

Un vieux sage, des énigmes, des épreuves 3 clés à trouver… bienvenue dans le jeu vidéo classique

Il se trouve cependant que le testament de James Halliday révélait une quête au sein même d’Oasis – qui est moins un jeu vidéo qu’un univers virtuel façon Second Life – permettant à celui qui découvrirait 3 clés cachées de mettre la main sur un Easter Egg lui conférant non seulement une prime colossale mais également le contrôle total de l’Oasis. On passera rapidement sur l’emploi de l’expression Easter Egg, qui – dans un jeu vidéo – est d’avantage une fonction, un objet référentiel ou un clin d’œil caché par les développeurs dans leurs œuvres et non un genre de Graal ultime comme présenté ici. Nous sommes encore loin de l’emploi galvaudé du terme Shinobi dans l’adaptation de Dead or Alive, mais vous comprenez l’idée du sujet survolé sans réelle maîtrise. Et c’est un peu l’amère constat que l’on tire sur tout le pan vidéoludique exploité – le terme est voulu – dans Ready Player One.

On comptera 4 ou 5 séquences qui démontrent indéniablement le savoir-faire de Spielbeg

Il n’en fallait pas moins pour que tous les joueurs se lancent à la chasse aux clés, tout comme la société IOI, désireuse de mettre la main non seulement sur la première ressource économique mondiale mais aussi pour le modeler de manière à saturer le HUD des joueurs de publicités pour générer encore plus de profit. C’est une motivation complètement idiote (aucune entreprise ne s’engagerait là-dedans de manière aussi frontale) mais passons, puisque nous sommes dans un film de Spielberg opposant encore une fois de façon très manichéenne l’univers coloré des enfants ou adulescents à celui des vilains adultes obnubilés par le profit. Même la représentation du concepteur de l’Oasis fait la part belle aux clichés du vieux geek inadapté socialement et incompétent avec le sexe opposé. Est-ce donc cela la proposition du grand Steven Spielberg adressée aux fans de jeux vidéo ?

Nous sommes dans un film clairement destiné à un jeune public, mais sans la maturité de propos qui accompagne en général les productions de Spielberg. On ne voit pas d’évolution dans la manière de percevoir le monde réel ou virtuel, et la morale finale clairement exprimée n’est rien de plus que « Hé, le monde réel c’est quand même plus cool que le monde virtuel, déconnectez-vos un peu ! » un tantinet réac’.

Bonjour, je suis le petit génie de l’informatique inadapté socialement, éternel adolescent bien loin des préoccupations du monde réel

Le monde réel n’est jamais vraiment exploité de manière à ce qu’on comprenne son fonctionnement, tout juste sait-on que tout le monde se balade avec un casque VR sur la tête, jusque dans la rue (logique hein ?), qu’il n’y a aucune forme d’autorité pour réguler les agissements criminels d’IOI (ah si, on voit deux voitures de police à la fin parce que le méchant a une arme – mais personne pour les empêcher d’enfermer des gens dans des cellules, un casque scellé sur la tête pour les forcer à travailler pour eux dans l’Oasis) et qu’il y a une forme de résistance qui existe depuis le lancement de la quête d’Halliday pour empêcher IOI de mettre la main sur l’oeuf, ce dernier point étant juste cité une fois oralement.

Dommage aussi qu’un ressort scénaristique majeur faisant avancer significativement le scénario découle d’un comportement complètement con et irréaliste du héros principal qui va révéler son identité réelle dans le monde virtuel alors qu’il sait qu’il est surveillé juste pour choper la fille qu’il connait depuis 24h et dont l’avatar est un croisement entre un Minimoys et un Na’vis. Et je ne vous parle pas du mot de passe administrateur écrit sur un post-it et lisible par tout le monde, qui sert également à l’avancée de la narration…

Et on en parle quand de ce drame abominable qui voit la mort de plusieurs personnes mais dont tout le monde oublie 2 minutes plus tard ?

Autant d’éléments qui font qu’à aucun moment le monde dystopique décrit dans le film n’a de cohérence ou de vraisemblance. Autant d’éléments qui démontrent que Ready Player One n’a absolument pas compris son sujet. Alors oui, on passe plus de temps à compter les références que le film nous vomit gratuitement au visage, mais l’artifice ne tient pas longtemps la route quand il devient clair que cette débauche n’est utilisée qu’en tant que sucrerie pour trentenaire et à détourner l’attention d’une histoire écrite par un gamin de 11 ans nourri à Overwatch et Doom 2016 et qui aurait maté les vieux DVD de papa. Les quelques fulgurances de scénario ou de références pertinentes ne semblent alors dues qu’au hasard et encore, sont étrangement utilisées (on en parle du « Cube de Zemeckis » qui permet de remonter le temps autour de lui alors que le héros a une DeLorean qui ne sait que rouler ? Et le concept même de « remonter le temps » dans un MMO ?).

Coquille vide

Wade Watts – dont l’avatar se nomme Parzival (ou Perceval, le héros des légendes arthuriennes ayant participé à la quête du Saint Graal) – étant un passionné de l’Oasis et de son créateur, connaît tout d’Halliday et consulte régulièrement ses mémoires virtuelles dans l’espoir de décrocher un indice sur l’emplacement des clés. Ici aussi, personne ne s’offusque de voir des épisodes entiers et personnels de plusieurs personnes – dont les anciens collègues d’Halliday – exposés au public comme des pièces à vider de leur substance jusqu’à en extraire un indice sur la quête de l’oeuf.

Joueur – ou plutôt membre de la communauté Oasis – solitaire, Parzival va pourtant se lier avec Aech, Art3mis, Daito et Sho pour passer les épreuves qui les mèneront à l’oeuf, tout en évitant les agressions de plus en plus répétées de IOI et ses nombreux Sixers, employés payés pour participer en boucle aux épreuves et traquer les clés.

Et pour un monde virtuel présenté comme mondial, tout le monde trouve encore normal que ces  5 adolescents reliés par le hasard dans le monde virtuels n’habitent qu’à quelques kilomètres les uns des autres. Et pour la bien-pensance, n’oublions pas d’inclure un adolescent américain en tant que héros, une jeune rouquine forte et indépendante en guise de crush, une afro-américaine garçon manqué et deux asiatiques adeptes des arts-martiaux dans le quintet de la valse des clichés. Il ne manquait plus que le caméo de Data des Goonies pour sublimer le tout.

Qu’on se le dise, et pour avoir vu le film dans une salle 4Dx, le travail de réalisation et le rythme sont indéniables dans Ready Player One, et on en prend plein les yeux pendant les deux heures de film. Certaines séquences resteront je pense à jamais iconiques, comme la première course de voiture qui voit Parzival monter dans une Delorean, affronter Art3mis chevauchant la moto de Kaneda en évitant le dinosaure de Jurassic Park avant de se faire broyer par King Kong dans une course qui n’a rien à envier à une partie de Motorstorm Apocalyspe. Mention spéciale aussi aux arrangements musicaux mélangeant à la bande-son du film de multiples inserts de bandes originales iconiques (prêtez l’oreille, c’est parfois saisissant).

Certains citeront aussi la bataille finale sur la planète Doom (aucun lien avec le jeu éponyme) voyant le PDG d’IOI Nolan Sorrento et son avatar ressemblant comme deux gouttes d’eau à un Bruce Wayne maléfique monter à bord de Mechagodzilla et affronter le Géant de Fer et un Gundam tout droit sorti du vaisseau Firefly, tandis qu’une armée de joueurs aux skins aussi variés que Master Chief, Chun-Li ou Tracer se chargent des troupes ennemies à coup de laser ou d’items chelou comme la poupée Chucky. Après avoir vu une telle soupe, tout geek peut mourir en paix, il faut l’avouer.

Pour ma part, je retiendrai surtout les séquences incluant le film Shining de Stanley Kubrick, dont la reconstruction fidèle et l’adaptation à l’histoire du film sont magistrales. Dans ce passage très impressionnant, on sent vraiment que Spielberg est dans son élément, qu’il maîtrise sa narration et ses codes, ce qui n’est pas le cas du reste du film, pris en main par des marketeux pour placer le plus de  références possible et séduire son audience. Ce passage menant à la seconde clé se termine sur une séquence décevante, mais je pense qu’elle restera dans les mémoires.

Ce qui est certain, c’est que le nombre de références à la minute est phénoménal mais reste affreusement insignifiantes, se cantonnant principalement à du visuel sans aucune implication ou à du namedropping pour justifier certains éléments comme “Regarde, elle a un skin de la moto de Kaneda dans Akira”… La majeure partie de Ready Player One se limite à du Skin sans intérêt, amputé qui plus est de toute une partie de pop-culture à cause de droits d’exploitation (le syndrome « Marvel x Spiderman x Fantastic Four ») détenu par d’autres Majors (coucou Star Wars).

C’est d’ailleurs l’adjectif qui convient le mieux à Ready Player One : Insignifiant. Pourtant, le film parvient à démontrer un savoir quasi encyclopédique du jeu vidéo, en donnant par exemple une grande place aux titres Atari 2600 et le jeu Adventure, qui pour le coup a bien été exploité avec bienveillance et intelligence, tout le contraire de punch-lines hors de propos (« Les fanboys reconnaissent les haters » – « Tu es ici dans mon univers ») . On se demande tout de même pourquoi les références geek et pop-culture des années 2045 se cantonnent majoritairement aux années 1980 à 2020, ce qui manque de cohérence narrativement encore une fois.

Il y a tellement d’incohérences au sujet d’IOI et des Sixers que je ne sais pas par où commencer…

Il est légitime de vouloir donner aux spectateurs les références qu’il connaît, mais pourquoi alors ne pas avoir transposé le film dans un futur proche, où il aurait été bien plus à-propos ? La dépendance au virtuel, les problématiques des accès limités en fonction des comptes gratuits ou premium ne sont pas des thématiques qui poseront problème dans 35 ans, mais sont très actuelles et ne sont que esquissées dans Ready Player One. La réalité virtuelle commence à l’implanter dans nos vies, et situer l’intrigue dans un futur proche, où tout le bagage référentiel entre les spectateurs et les protagonistes du film est commun, aurait pu être plus percutant, même en conservant la morale à deux balles du film.

Ouvrez bien les yeux, si la bataille de Doom est brouillonne à souhait, elle regorge de références

Bref, on peut vous conseiller le visonnage de Ready Player One au cinéma en 3D ou en 4D, car visuellement, c’est une réussite. On reste devant un divertissement de Steven Spielberg, ce qui en fait donc un produit de qualité. N’espérez cependant rien y trouver d’autre, car ici encore, le milieu du jeu vidéo n’a pas été compris ni exploité correctement et finit par n’être qu’un prétexte commercial un brin putassier pour attirer « les jeunes aux cinéma ». C’est vraiment dommage, car en une seule séquence, Spielberg a pourtant prouvé que son talent était encore là et qu’il était capable de grandes choses quand il maîtrise son sujet. Mais pour 80% du film, ce n’est pas le cas.

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Titiks

Quadra assumé, daron de 3 apprenties gameuses, fan de tout ce qui est capable de raconter une bonne histoire. Touche-à-tout, mais surtout de bonnes aventures qui savent surprendre, et dévoué à l'univers console depuis que Sega était plus fort que tout, vous me verrez bien plus souvent connecté à la nuit tombée #2AMFather.

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