En travail d’écriture, on raconte ce qu’on rate, on raconte ce que l’on n’arrive pas à faire. Le tabou du burnout vidéo-ludique me désespère, me fout le spleen. Ce dossier saura peut-être vous réconforter, en tout cas, il a été pour moi une sorte d’auto-thérapie. Je serais curieux de lire vos expériences en commentaires.
Que devient la génération geek 70-80 après presque 30 ans de jeu vidéo dans les mains? Que devient la passion du jeu vidéo, commencée naturellement jeune comme simple divertissement, avec le temps? Peut-on avoir 35 ans, être cadre et fan de jeux vidéo? Peut-on être infirmier ou ambulancier et hardcore gamer? La manière de jouer évolue-t-elle comme la manière de consommer? Autant de questions que je me suis posé et que mon entourage se pose. La poudre de Peter Pan opère-t-elle toujours? Nous allons tenter de répondre à ces questions via des témoignages poignants, touchants, humains et 100% non-virtuels.
Je tiens à préciser que cet écrit n’aurait pas pu être possible sans les membres du forum d’Obsolete Tears et Olivier Jaupart qui m’ont inspiré et donné tellement de réponses et de réflexions pertinentes pour la création de ce dossier. Merci Huor.
Grosse question existentielle (à la limite de la crise identitaire) pour le geek que je suis depuis l’âge de mes 7 ans avec la Master System. Mon côté « geek », si nous pouvons l’appeler ainsi, a énormément évolué par rapport à il y a 20 ans lorsque j’étais enfant avec la génération 16bits, puis adolescent avec les 32 et 64bits. Autrefois je ne jurais que par les animés japonais et les jeux vidéo, avec néanmoins une attirance étrangement contrastée entre l’histoire (et ses mystères… Alimenté par Des Trains pas comme les autres, Indiana Jones et mon adulation pour l’Histoire) et le futur avec la place de l’homme (et ses mystérieuses découvertes!) qui sont aujourd’hui devenues une partie de la norme sur Discovery, « I Fucking Loving Science », et les 98% des gens qui s’auto-prônent depuis 6 ou 7 ans comme « Geek » parce qu’ils ont installé une app sur leur smartphone et qu’ils ont été voir le dernier film de science-fiction à la mode. Croyez-moi, avant, trouver une figurine de Mario ou une VHS de Star Wars c’était très compliqué.
A 33 ans, Jésus Chris Superstar, je ne joue plus énormément aux JV, et je « dirige » (disons que j’essaye d’aider une bande de fous furieux de potes que j’adore) un website au doux nom totalement ambigu de Pixel Barbecue. Que voulez-vous, la convivialité et le social m’ont toujours attiré. Il y a 8 ans encore j’allumais mes consoles régulièrement, pour jouer une 20aine d’heure par semaine, déjà donc, dans une moindre mesure que le pic de ma passion à l’âge de 12 à 15 ans où j’estime que je devais passer bien 35h par semaine à jouer aux jeux vidéo et à programmer sur ordinateur. Aujourd’hui, j’en suis arrivé à un stade où je ne dépasse pas les 3H de jeu par semaine, voire une semaine ou deux sans jouer du tout, car je suis en déplacement professionnel (il faut bien gagner sa vie que voulez-vous!). Je pourrai jouer le soir à l’hôtel, mais cette saloperie de FB me bouffe de plus en plus de temps. Comme tout le monde je veux stopper de regarder, comme tout le monde je scroll et je perds mon temps. Ce constat qui atteste que mon addiction aux jeux vidéo est frustrée, bouleversée, voire traumatisée par de nouvelles habitudes de vie. Prendre de l’âge, c’est prendre des responsabilités dans tous les domaines (je ne suis pas père, mais je co-dirige une société d’impression de packaging, et je me dois de donner du travail et un salaire à 15 personnes par mois, et de le faire en m’éclatant.) Et puis, il y a la vie de famille. Je m’efforce de passer du temps avec ma belle en dehors des jeux vidéo (car nous sommes joueurs tous les deux), nos passions communes pour les ballades et les vieilles pierres comme elle les appelle me comblent actuellement bien plus que le JV , sans oublier la famille et les potes!
Mais tout de même… Le constat est sans appel. Cette attirance pour le jeu vidéo s’essouffle naturellement avec le temps.
Disco (36 ans) du forum Obsolet Tears répondant au message initial de Huor: « Pour ma part, l’envie n’a jamais disparu mais le temps, si! L’essoufflement a déjà commencé avec ma femme puis, je suis aujourd’hui père (bientôt pour la 2ème fois) & le temps manque forcément. Du coup, comme toi, peut-être 2h par semaine, des fois pas du tout, des fois plus… » Ce dernier rétorque: « Ce n’est pas forcément la vie pro et de famille qui détruit la possibilité de jouer, mais, l’âge avançant, les envies changent aussi. Pour moi en tout cas c’est le cas, et quand je vois mon aîné jouer, je ne ressens pas forcément l’envie de jouer également. Disons que les manettes ne me rendent plus frénétique comme autrefois (en fait, depuis le passage à la 3D, y a un truc qui a été rompu), et au lieu d’être le geek, je préfère aujourd’hui être celui qui construit l’environnement du nouveau geek, tout en conservant mon p’tit côté joueur malgré tout »
Si le temps disponible à leurs passions semblent être les facteurs communs à la réduction du temps de jeu, il semble que les geeks n’en demeurent pas moins toujours des geeks. Selon Badinette, 29 ans: « Je ne pense pas que ce soit dû à un essoufflement, plutôt à une autre manière de voir les choses. Je n’ai plus envie de jouer à des RPG de 100 heures où je dois faire du levelling. Là où avant ça ne me dérangeait pas, maintenant je vois plus ça comme une perte de temps sans intérêt. Du coup, je choisis mieux mes jeux, ils sont plus variés et aussi plus courts pour arriver à les finir. […] Et pourtant je suis toujours aussi geek, voire plus ! Pas une journée ne se passe sans que je lise, regarde ou parle de jeux vidéo. Parce qu’un vrai passionné vit sa passion sous toutes les formes possibles. » Un témoignage qui rejoint celui de Dryades : « D’ailleurs ma façon de jouer a aussi changé. J’ai voulu également revenir aux sources. Quand j’ai commencé vers l’âge de 9 ans, je n’avais pas beaucoup de jeux NES, mais le peu que j’avais, je m’efforçais de les finir puisque je n’avais que peu de choix. Maintenant j’ai l’embarras du choix, je picorais souvent tous les jeux mais depuis quelques années, je suis revenu à ne me consacrer qu’à un seul jeu à la fois. »
Nico, le webmaster de site ObsoleteTears: « Avec le temps je suis de moins en moins geek […] , et c’est vrai que, comme tout le monde ici visiblement (ou presque), c’est le temps qui me pose le plus de problèmes. Mais la passion reste bel et bien là, même si le monde de la collection me dégoute complètement (« c’est une belle pièce » moi je m’en branle, je veux juste jouer avec). Finalement, je me considère plutôt comme atteint du syndrome Asperger, qui me fait accumuler tout un tas de choses dans les domaines qui me passionnent, histoire d’en savoir le plus possible sur le domaine en question. »
Finalement, il semble qu’en 2017 la génération 70-80 soit plus une génération de nostalgiques geeks passionnés des grandes heures, mais toujours à l’écoute de l’actualité de leur passion, que des joueurs assidus. Pourtant, cette même génération c’est elle qui aujourd’hui possède le portefeuille pour faire vivre l’industrie du jeu vidéo et qui achète des jeux qu’elle ne finit pas. Certains se disent même rétro-geek comme c’est le cas de DataPro: « En 2016, j’ai réussi à passer quelques soirées sur mon PC de 1995, à installer des jeux sous DOS comme au bon vieux temps […] Donc oui, je vibre toujours face à certains jeux, certaines activités geeks… beaucoup moins face à d’autres… Je suis quand même plus un retro geek, car la dématérialisation, les tablettes, les nouveaux systèmes d’exploitation à la « Fisher Price » ne m’attirent guère. J’écoute uniquement des CD et des vinyles, je regarde 98% de DVD et de Bluray et j’utilise encore des Laserdisc et des cassettes audio… »
Pour cette génération de passionnés, l’attirance et la curiosité de l’évolution de leur passion semble être toujours importantes. Le jeu vidéo comme le cinéma ou la musique ont plusieurs lectures. Pour ma part c’est surtout l’actualité du jeu vidéo qui m’épuise et que ne m’intéresse plus. Les sorties des gros jeux s’enchaînent depuis 2 ans de manière ininterrompues et croissantes. Et je m’en désintéresse complètement. J’achète mes jeux bien longtemps après la sortie Day One, généralement dans un Cash Converster ou boutique spécialisée avec de bons vieux rayons d’occasions (je sais pas pourquoi mais avec les jeux vidéo je DOIS faire une bonne affaire pour acheter un jeu), et pourtant même ainsi, j’entasse les galettes dues à mes compulsions boulimiques d’ancien gamer jamais assez rassasié et toujours plus avare de découvertes, qui après 8h d’open world (sauf exception) me font lâcher le jeu pour un autre.
Amoureux des jeux vidéo? Oui, surtout d’hardware et des pépites de pixel nippones (japonaiseries quand tu me tiens) mais si aujourd’hui je devais définir mon côté geek de 33 ans, je dirais que, tout comme Huor, je le vis plutôt au travers de la rénovation de ma maison. Bricolage, outillage, création, ludique et découverte: le craft utime du geek serait-il de posséder sa propre maison qu’il bidouille lui-même? J’adore le bricolage, et j’aime l’artisanat. J’aime passer du temps à retaper ma maison comme le temps où je retapais les vieilles consoles de jeu. L’électronique en moins, le ciment et le plâtre en plus. Étrangement, la domotique ne m’intéresse pas (encore), mais si vous voulez savoir si j’aurai, ou non, une pièce geek dans ma maison; je vous réponds que OUI, j’aurai la garçonnière rêvée depuis l’âge de mes 10 ans et que tout retro-geek qui se respecte aimerait avoir. J’entasserai mes 25 ans de recherches passées (et à venir!) et de brocantes dans une gaming room dédiée à mes passions pour le jeu vidéo et la retro-informatique. Mais je vais devoir en revanche faire une chose importante: réapprendre à jouer, à ne plus zapper.
Bien, maintenant que vous avez ma propre version des faits et celle de cette réflexion originale du forum d’Obsolete Tears, vous possédez désormais une base comparative par rapport à ce qui va suivre, nous allons parler d’Olivier Jaupart (alias OliCrazy pour les intimes) que j’ai pu interviewer sur son ressenti à lui.
Voici son texte du 1er Mars 2017 publié sur son mur Facebook et qui m’a interpellé:
« Pensée ludique du jour… Je joue aux jeux vidéo depuis 37 années… La démocratisation du jeu en ligne depuis une dizaine d’années devait révolutionner le milieu, rassembler les joueurs, rassembler des amis autour de leur passion commune, et ce, sans bouger de chez soi! Mais les années passants, malgré mes nombreux soi-disant amis du Jeux vidéo et des réseaux sociaux, il est presque impossible de réunir ne fusse qu’une soirée 3 ou 4 potes en ligne pour passer un bon moment à jouer et à papoter par micros interposés.Toujours des excuses, manque de temps, les enfants, la famille, le travail et autres joyeusetés du genre.
Et pourtant tu les vois malgré tout connectés en ligne ou diffusant du jeu sur leur chaîne YouTube! Depuis un an je me suis pris de passion pour les jeux de société… et là, le miracle !Les gens se rencontrent, prennent leur voiture, vont dans un local, passent des soirées ensembles et ce, tous les week-ends! Pourtant il faut prendre ses boîtes de Jeux, sortir par tous les temps… et ce, sans trouver une excuse bidon pour ne pas jouer entre potes… un peu comme à l’époque où on se rassemblaient autour de la Master System, d’une NES ou d’une SNES une aprèm entière avec quelques chips et du Coca.
Bref, sais pas trop si je dois être triste de mon ancienne communauté ou être heureux et rassuré que les gens aiment encore passer du temps entre eux ! Plus les gens sont connectés, moins ils se rassemblent !«
Vous allez dire que je m’éloigne un peu du sujet, mais pas tant que ça. Tout d’abord car on y parle changement de comportement geek d’Olivier, mais aussi sociabilisation. Il ajouta lors de notre conversation: « Bery, si tu veux le fond de ma pensée, la possibilité de streamer du jeu pour tout un chacun a tué le temps consacré au vrai jeu en ligne entre pote. Chacun veux sa petite chaîne de stream de jeux (ce qui est humainement normal, l’ego ça ne fait pas de mal à petite dose) et le jeu en ligne est devenu : 1 gars qui joue et 20 qui tchat avec lui. Ce qui est dommage… Mais suis un vieux con de 41 ans lol. Je traîne énormément dans le milieu jeux de société, et les joueurs dans ce milieu-là sortent et se réunissent tous les w-e!!! C’est énorme…´ » Je lui demande alors quelle est la moyenne d’âge et le type d’individus présent: « Moyenne d’age de 8 ans à 60 avec de tout : des célibataires, des couples, des familles, des enfants, des ados, des jeux de rôles, des jeux de plateaux et même des figuristes. » Je trouvais également intéressant de savoir si le local était privé ou public, pas toujours facile de rassembler autant de personnes chez un privé: Le local est privé ou c’est la commune? « C’est à la commune, en annexe à une brasserie, là avec la team qui m’aide; nous sommes sûrs et certains plus de 50 personnes…et quand tu veux faire une soirée en ligne avec un ou deux potes tu galères pour réunir tout le monde. » Dans sa lancée il ajoute: « Je ne comprends plus les gamer, pourtant j’ai 41 ans et je joue depuis l’âge de 4 ans et puis, il y a ce côté blasé, insatisfait, critique qu’il n’y a pas dans le Jeu de société et ça, ça fait du bien, je resterai toujours un joueur de JV, mais là, la balance penche plus vers le jeu de plateau et de rôle. »
J’espère que ces prises de positions et témoignages passionnants vous auront plu et donné des clefs sur vos propres réflexions et ressentis. Je serai curieux de pouvoir lire les vôtres, alors ne soyez pas timides, et sortez de votre bulle! Vive les retro-geeks, vive le social.