Cela fait un moment qu’on avait envie de vous parler de la collection Third Editions, et la sortie du nouveau livre consacré à Kingdom Hearts nous semblait le bon moment.
Si vous ne les connaissez pas encore, sachez que les éditions françaises Third sont spécialisées dans des ouvrages de qualité traitant de notre média favori (mais pas que). Loin des Artbooks richement illustrés, les livres Third sont de véritables documents sur la conception des œuvres comme Bioshock, Silent Hill ou Castlevania, mais sont également des clés de décryptage précieuses pour bien comprendre les univers dans lesquels nous plongeons à chaque fois que nous prenons une manette. Il faudra que je vous parle de leurs incroyables livres sur Persona, mais chaque chose en son temps. Chaque livre est laissé à l’expertise de grands passionnés, parmi lesquels vous retrouverez des personnalités comme Benoit « ExServ » Reinier, mais également Georges « Jay » Grouard dans le cas qui nous occupe dans cet article.
[Interlude]
Je me permets un aparté ici, puisque si le nom d’ExServ va parler à une majorité d’entre vous, il est possible que le nom de Georges Grouard vous soit inconnu – bande d’hérétiques.
Pour faire court, si vous aimez les JRPG aujourd’hui, c’est quelque part sans doute grâce à lui puisqu’il est ni plus ni moins que le créateur des magazine Gameplay RPG et Background. Entre autres choses. Passé par tous les stades de la rédaction du jeu vidéo – de journaliste à directeur de rédactions en passant par rédacteur en chef – il est au commande de la rédaction d’une des plus grande saga du jeu vidéo chez Third Editions avec Kingdom Hearts. Il fait partie des rares experts francophones du genre (je cherche, mais je n’en vois même pas d’autres), et si vous ne le connaissez pas, c’est qu’il est plutôt du genre discret depuis quelques années, éloigné de la presse papier et moyennement intéressé par le format web.
Pour ma part, Gameplay RPG était le magazine spécialisé qui faisait office de bible du genre, rempli à craquer de vrai contenus et dossiers sur le JRPG (ou du survival-horror), traité avec un ton plus familier mais toujours passionné qui nous donnait toujours l’impression d’accéder à un milieu de connaisseurs. J’avoue d’ailleurs redouter que l’auteur passe sur cet article, de peur de me faire recadrer sur l’exactitude d’une de ces informations. Jay n’avait – et n’a toujours pas – sa langue dans sa poche, et de toute manière, quand il te parle, tu te tais. Qu’on aime ou non le bonhomme, son travail sur le JRPG et sur la saga Kingdom Hearts est juste incroyable.
C’est un constat qu’on retrouve – avec une certaine joie – dans ses ouvrages chez Third : à peine le Magnum Opus ouvert que je me fais traiter d’imbécile pour avoir commencé ce livre avant d’avoir lu les deux premiers. Me voilà renvoyé pas loin de 20 ans en arrière, avec un ton toujours aussi brut et familier, mais un style d’écriture qui s’avale sans difficulté et c’est tant mieux.
Car s’attaquer à ce que Jay a à raconter sur Kingdom Hearts, c’est se lancer dans 3 volumes actuellement publiés – soit environ 1300 pages plus un dernier tome à venir en octobre avec la conclusion de tout son travail – et une myriade d’anecdotes et d’histoires à priori sans rapport mais qui dressent un contexte indispensable à la création de la licence. Comme je le disais, ce troisième opus consacré à Kingdom Hearts III n’est en fait que la première partie consacrée à la création houleuse de ce troisième épisode, le second volume à venir étant exclusivement consacré à l’univers et à son décryptage.
Comme je disais plus haut, je me suis senti tout de suite très con à la lecture des premières pages du sobrement intitulé Magnum Opus. Il est vrai que je n’ai pas encore lu les deux premiers volumes – pourtant dans ma bibliothèque – mais j’ai appris ici qu’il fallait considérer l’intégralité des volumes de Georges Grouard comme un seul et unique livre, l’auteur s’auto-référenciant souvent. Honnête, il nous prévient que cela n’a aucun sens de commencer par cette partie. Moi qui voulait simplement comprendre les symboles et influences de ce troisième épisode quelque peu obscur, je m’en suis retrouvé pour mes frais.
Alors oui, la lecture n’a pas été aussi simple que pour les ouvrages tout aussi touffus de Persona, et je ne vous conseille franchement pas de débuter par ce volume – même s’il n’y a que Kingdom Hearts III qui vous intéresse – tant vous allez perdre beaucoup, à commencer par ce fameux sentiment d’appartenance à une niche de connaisseurs. Car Jay s’adresse à ses lecteurs comme un bon prof d’histoire le ferait avec ses élèves dans un amphithéâtre, avec exactitude et bienveillance. Aussi, il est malpoli d’arriver en retard à son cours et de demander des explications sur ce qu’on a manqué.
La comparaison semble à double tranchant, mais autant il va falloir vous accrocher pour tout suivre au départ – l’auteur ayant recours très (peut-être trop) régulièrement aux notes de bas de page pour expliciter un point précis – autant par la suite, la précision et le savoir quasi encyclopédique de Georges Grouard susciteront l’admiration. C’est bien simple : si un point nécessite un peu de contexte, il vous donnera l’intégralité du contexte.
Par exemple, pour expliquer pourquoi Nomura a tardé à avoir accès aux mondes de Pixar pour ce troisième opus, l’auteur va vous expliquer comment et par qui est né Pixar, ses relations avec Disney, son évolution et enfin le contexte quelque peu malaisant dans lequel le créateur de Kingdom Hearts est arrivé pour faire sa demande. Au début, C’est perturbant, voire un peu exaspérant, mais ce contexte prend absolument tout son sens par la suite.
A cela, il faut ajouter que si le livre ne fait « que » 220 pages, elles s’avalent sans difficulté, le rythme étant excellement maîtrisé, l’auteur faisant des petites pauses quand cela est nécessaire, pour contextualiser rapidement d’autres événements, rappeler où on se trouve et le pourquoi de sa démarche. On se retrouve au final avec presque une moitié de l’ouvrage relatant la naissance des images de synthèse au cinéma et pour l’animation, le rapport des grands acteurs de l’époque face à cette technologie naissante, leurs rapports de force, le combat entre la créativité et la rentabilité.
Enfin, le combat de Nomura lui-même – et de ses équipes – que l’on comprend très malmenées durant 10 ans, en évoquant bien entendu le cas Final Fantasy Versus XIII (devenu XV), et même celui de Final Fantasy VII Remake, ainsi que les âpres difficultés rencontrées à cause du moteur graphique de Square-Enix, de l’utilisation complexe mais providentielle de l’Unreal Engine, du changement de génération de machine, des rapports – en très bons termes mais très compliqués à gérer – avec la maison aux Grandes Oreilles, du travail colossal de recréation des assets de Disney à cause d’incompatibilités techniques entre le monde de l’animation et celui du jeu vidéo…
Une enquête passionnante et une somme d’informations incroyable qui ne sont absolument jamais une corvée à lire, bien au contraire. Tout juste pourra-t-on avoir du mal avec la multitude de notes en bas de page – vraiment nombreuses – qui nous obligent à sortir du texte principal quelques secondes, puis à y revenir, le tout 3 à 5 fois par page.
Conclusion
Difficile de vous conseiller la lecture de ce troisième volume si vous n’avez pas lu les deux premiers. Néanmoins, si vous avez déjà quelques connaissances plus pointues sur la série et que vous voulez en apprendre plus sur les raisons qui ont fait que le titre soit sorti au final très tardivement, vous allez plonger ici dans une mine d’informations qui ne souffre d’aucune approximation. Le tout raconté par un véritable expert en la matière.
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