Bien que ces derniers temps, il soit mal aimé de son éditeur (Capcom), Megaman reste l’un des héros de jeux vidéo les plus connus et l’un de ceux qui a marqué plusieurs générations de joueurs (plus particulièrement celle qui a officié sur consoles 8 et 16bits.)
Lorsque l’on parle de notre petit robot bleu favori, on finit invariablement par parler de son créateur, Keiji Inafune, producteur japonais reconverti dans le lancement de Kickstarter foireux.
Et pourtant !!
Si Inafune a officié très longtemps sur Megaman et qu’on lui doit une partie du design de notre héros cybernétique, on doit la naissance de Rockman à un certain Akira Kitamura. Mais qui est donc ce monsieur dont tout le monde a oublié l’existence ?
Akira Kitamura (alias A.K.) rejoint Capcom au début des années 80 en tant que graphic designer mais s’intéresse très rapidement au game design. Milieu des années 80, Capcom réunit une équipe de jeunes développeurs afin de lancer une nouvelle licence de jeu de plateforme et Kitamura (ainsi qu’Inafune et d’autres) en font partie. C’est la naissance de Megaman.
Kitamura assemble donc les sprites bleutés qui donneront vie à notre petit robot tandis que Keiji Inafune s’occupera de traduire cet amas de pixels en artwork. Inafune dira d’ailleurs que cette expérience fut pour lui assez particulière. En effet, il est d’usage de d’abord créer les personnages au travers d’artworks que l’on transpose ensuite in-game sous forme de pixel et non l’inverse. En parlant de pixels, le premier choix de Kitamura concernant la palette de couleur de Megaman n’était pas le bleu mais le blanc ! Le souci, c’est que le blanc était perçu comme une couleur « faible » et Kitamura ne voulant pas d’une couleur trop sombre, il opta pour un compromis et choisit pour le bleu !
N’étant pas développeur, Kitamura peut compter sur ses camarades comme Nobuyuki Matsushima, ancien programmeur dans de grosses entreprises, pour le codage et Yasuaki Kishimoto pour s’occuper des arrière-plans. De son côté, Kitamura travaille à certaines « règles » qui perdureront longtemps dans le monde de Megaman, comme par exemple les vagues d’ennemis.
Selon lui, les petits ennemis doivent arriver par vagues de 3 ou 4 individus. La difficulté augmente à chaque ennemi terrassé de la vague, sauf le dernier qui sera le plus facile à vaincre. Kitamura joue également sur le terrain et le placement des ennemis pour augmenter la difficulté de certains passages.
Megaman premier du nom est finalement bouclé et se vend plutôt bien, motivant Capcom à lancer le développement d’une suite. Kitamura rempile mais des dissensions commencent à se créer entre lui et Capcom. De quelles natures furent ces tensions ? Nous ne le saurons probablement jamais. Reste que Kitamura décide de partir voler de ses propres ailes une fois Megaman 2 terminé. Avant de partir, il laisse les clés du projet Megaman à Masahiko Kurokawa (alias Patariro).
Ce dernier demande conseil à son prédécesseur pour l’opus à venir. Kitamura lui propose plusieurs choses :
- Ne pas toucher aux bases du gameplay
- Remplacer certains objets par Rush, le chien-robot.
- Introduire un nouveau personnage dans la saga : Proto-man, le frère de Megaman. (histoire de rajouter un peu de drama)
Des conseils que Masahiko Kurokawa appliquera dans Megaman 3. Mais pendant le développement de ce dernier, Kurokawa quittera lui aussi Capcom (pour des raisons également mystérieuses) et les rênes du projet échoueront dans les mains de…. Keiji Inafune !
Akira Kitamura quitte donc Capcom après Megaman 2 pour fonder le studio Takeru en compagnie de Shinichi Yoshimoto (game designer de Ghouls ‘N Ghosts). Les 2 lascars seront bientôt rejoints par Kouichi Yotsui, le créateur de Strider, un ajout qui aura de lourdes conséquences (mais on y reviendra).
Leur premier jeu, baptisé Cocoron, sort dès 1991. Dans ce dernier, Tapir, un tapir bleu en pyjama (je suis tout à fait sobre !), magicien du monde des rêves de son état, descend sur votre maison grâce à son parapluie pour vous offrir un rêve (toujours sobre, promis !) où il vous faudra sauver Rua, la princesse du monde des rêves.
Le jeu vous permet de créer votre héros de toute pièce (tête, corps, et arme), chaque pièce ayant des capacités et des avantages/inconvénients différents. Opterez-vous pour un Gundam ninja armé d’un boomerang ou un samouraï à tête d’alien lanceur de parapluie ? A vous de voir !
Lorsqu’on joue à Cocoron, on ne peut s’empêcher d’y sentir des relents de Megaman. Un héros aux capacités modifiables, un monde qui peut être parcouru dans l’ordre que l’on veut, des niveaux sous formes de tableaux, etc. Malheureusement, si Cocoron s’inspire de Megaman, il ne se vendra pas aussi bien et sera battu à plate-couture par….. Megaman 3. La suite de Cocoron, prévue sur PC Engine, fut par conséquent annulée face à ce non-succès du premier opus.
Le studio Takeru n’abandonne toutefois pas et lance un second projet : Little Samson. Comme pour Cocoron, on ne peut s’empêcher de penser à Megaman une fois manette en main. Mais cette fois-ci, l’expérience est plus probante que pour Cocoron.
Little Samson permet au joueur d’incarner 4 personnages différents : Samson le jeune humain, Kikira le dragon, Gamm le Golem et K.O. la souris. Le joueur peut switcher à tout moment de personnage, chacun d’eux ayant accès à des capacités différentes. Little Samson bénéficiera d’un petit succès (mérité) à sa sortie qui se révélera malheureusement le seul de l’histoire du studio.
Vous vous rappelez de Kouichi Yotsui, le créateur de Strider, dont je parlais plus haut ? Ce dernier a des ambitions artistiques et propose un projet de jeu un peu différent : Nostalgia 1907. Le soft se présente comme un visual novel au ton sépia se déroulant sur le Nostalgia, un paquebot inspiré du Titanic où vient de se produire une explosion. Au joueur de trouver le coupable grâce à son travail de détective.
Hélas, le développement Nostalgia 1907 commence à coûter de plus en plus cher et les finances (déjà pas folichonnes) de Takeru fondent comme neige au soleil, entraînant la faillite du studio. La plupart des membres du studio migrent chez Mitchell Corporation (Pang, Cannon-Dancer, etc.). Et Akira Kitamura dans tout ça ?
Eh bien mystère! Kitamura disparait des radars après la faillite de Takeru et on ne retrouve plus trace du monsieur dans le monde du jeu vidéo. Il entretient également le silence et joue les reclus pendant plusieurs années. Pas facile d’ailleurs de trouver des infos ou même une photo du bonhomme. La seul que nous ayons pu trouver sur les internet regroupe Akira Kitamura (tout à gauche) avec quelques autres noms du jeu vidéo japonais de l’époque.
En 2015, Il sort toutefois de sa réserve et accorde une interview très instructive au mangaka Hitoshi Ariga, pour un numéro du recueil de manga Rockman Maniax. Une interview que l’on vous recommande chaudement tant elle regorge d’anecdotes sur la création de Megaman et que vous pouvez lire par ici.
Ainsi s’achève la drôle d’histoire du vrai papa de Megaman. Si nombre de gamers ne retiendront que le nom de Keiji Inafune, Akira Kitamura est celui qui aura donné vie au petit robot bleu, lui insufflant les qualités qui feront le succès de la série.
Kitamura se sera également efforcé, tout au long de sa présence chez Capcom de donner vie à sa création, faisant de lui un personnage pacifique contraint de combattre ses pairs et tiraillé par le doute car libre de ses choix (Megaman est le seul robot pouvant décider de se désactiver), posant de cette façon les jalons de l’avenir de la saga (cc Megaman X ). Un héros complexe, bien éloigné d’un personnage unidimensionnel comme les Mario ou Sonic de l’époque.
Maintenant, la prochaine fois qu’on vous parlera de Megaman et de son créateur, vous pourrez rendre hommage à Akira Kitamura, son créateur, le vrai, celui que l’histoire vidéoludique oublie trop souvent.