Il est un thème que l’on évoque rarement dans le jeu vidéo, c’est celui de la narration. La narration, qu’on associe souvent au scénario est la mise en scène de ce dernier, son découpage en structures et en schémas narratifs ; « comment avance l’histoire » pourrait-on dire. Ainsi, tel un second rôle omniprésent, la voilà, cette fameuse narration qui vient égayer la plupart de nos jeux préférés. Subrepticement, avec plus de discrétion qu’un Sam Fisher en plein sens du devoir, la narration est devenue un pan incontournable du jeu vidéo. Petits embryons de réflexion avec PxlBBQ, notamment sur l’importance des histoires de jeu vidéo au cours de…l’histoire du jeu vidéo.
« Jeu, fais-moi jouer »
Difficile de nier que les débuts du jeu vidéo ne faisaient pas la part belle à un scénario Tolkenien. Qu’il s’agisse de Spacewar!, de Space Invaders, de Pac-Man, de Mario Bros voire de Tetris un peu plus tard, les premiers succès des jeux vidéo ne reposaient en aucun cas sur des scénarios élaborés et prenants. On pourrait s’en offusquer, certes, mais après tout, l’un des premiers films ayant vu le jour s’appelait « Arrivée d’un train en gare de La Ciotat » et nous montrait…l’arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Pas de quoi réveiller les morts. La faute, qu’il s’agisse de jeu vidéo ou de cinéma, à une certaine forme d’immaturité, le marché étant encore balbutiant, le public perplexe et les industriels frileux.
Il aura fallu attendre le premier épisode de la série The Legend of Zelda, paru sur NES/Famicom en 1986, pour que la narration occupe une place importante dans le jeu. Pour autant, attribuer la paternité de ce fait nouveau à Nintendo serait réducteur, dans la mesure où la fin des années 1980 et le début des 1990’s ont donné lieu à un grand nombre d’œuvres vidéo-ludiques faisant la part belle à des structures narratives complexes mais cohérentes. Final Fantasy, Chrono Trigger, Secret of Mana, Zelda : A Link to the Past sont autant de jeux qui sont en partie restés cultes grâce aux histoires originales qu’ils mettaient en scène.
« Jeu, raconte-moi une histoire »
Mieux, certains jeux se reposent complètement sur des scénarios très importants en ce sens qu’ils sont au cœur même du jeu : les point’n’click. Menés par Sam & Max ou Monkey Island, ce style de jeu particulier réduisait à son minimum l’interaction jeu-joueur, en ne permettant à ce dernier que de…pointer et cliquer. Très populaire dans les années 1990 (et revenu en force ces dernières années grâce au talent de Telltale, son adaptation de The Walking Dead et son The Wolf among us), ce type de jeux somme toute assez particulier montrait qu’à l’inverse des jeux d’antan, le jeu vidéo pouvait trouver ses lettres de noblesse à travers des histoires bien racontées et dialogues parfois fendards.
On peut légitimement penser que la faible créativité narrative et scénaristique des jeux de la « vieille époque » vient alors d’un manque de maîtrise technique, qui bridait la créativité des développeurs. Et même si cette idée semble quelque peu réductrice au vu des jeux cités précédemment, elle est confortée par l’arrivée de la 3D dans les jeux vidéo. Tomb Raider, Final Fantasy 7, Shenmue, Silent Hill, Metal Gear Solid, Zelda : Ocarina of Time, puis GTA et Halo, le haut du gratin du jeu vidéo de cette époque (fin 1990 – début 2000) se pare de scénarios originaux et maîtrisés, et de mises en scène de haute volée, en même temps que de graphismes clairement améliorés.
« Jeu, montre-moi une histoire »
Aujourd’hui, le jeu vidéo semble être arrivé à une période plus stable, empreinte de maturité. Les jeux, parfois plus longs qu’avant (mais parfois moins), offrent aux joueurs une histoire, tant et si bien qu’un jeu au scénario bâclé ou raté peut coûter cher à un jeu. Le scénario de Bioshock Infinite a même été un bel argument marketing utilisé par Take-Two, l’éditeur du jeu.
La dimension narrative du jeu est plus importante que jamais à une époque où, presque paradoxalement, les possibilités de gameplay sont plus nombreuses que jamais. Le scénario, la narration d’un jeu s’inscrivent dans une finalité appréciée de tous : l’ «univers» d’un jeu. Red Dead Redemption n’est « qu’un » portage de GTA (par le même studio de développement, qui plus est) à la sauce western. Le jeu ne se distingue pas tant par son gameplay, quoique jouissif mais déjà bien assimilé par quiconque ayant pu s’essayer à GTA, que par la richesse de son scénario qui s’inscrit dans un univers habilement repeint, celui du far west. Et si Assassin’s Creed ne brille désormais plus par ses mécaniques de jeu, chaque nouvel épisode est désormais attendu par de nombreux joueurs par l’univers qu’il nous fera visiter, par la mise en scène d’un lieu et d’une époque précise.
Dans le même ordre d’idée, The Last of Us est aujourd’hui un jeu culte, apprécié de tous et nommé « Jeu de la gen’ » par les lecteurs de Gamekult, devant Mass Effect, GTA V et BioShock, qui auraient tous trois leur place dans cet article tant leurs scénarios jouent en leur faveur. Pourtant, dans les faits, The Last of Us n’est qu’un TPS parmi tant d’autres, un « jeu couloir » d’une quinzaine d’heures demandant au joueur de survivre en trouvant des munitions et en zigouillant des méchants. Mais si le jeu a tant marqué les esprits, c’est précisément pour ce qui nous intéresse ici : l’émotion qu’il véhicule au travers de l’histoire du jeu et de celle des personnages. Le joueur, soudainement empathique, brise l’écran pour se retrouver aux côtés d’Ellie et Joel jusqu’à une scène finale à faire pleurer les morts.
The Last of Us est ainsi «symptomatique» de cette nouvelle façon d’apprécier le jeu vidéo : à défaut de me proposer une façon originale de jouer, le jeu me raconte une histoire incroyable. Et le succès des jeux de Quantic Dream, Heavy Rain et Beyond : Two Souls en tête, n’est qu’un dérivé de cette scénarisation nouvelle des jeux vidéo. Mais après tout, quand on voit le résultat de ces jeux, est-ce un mal ?
Comments