Annoncé il y a presque deux ans, dévoilant ses atours au fil des mois tout en gardant jalousement la teneur de son expérience, Firewatch arrive enfin. Le titre de Campo Santo est l’un des plus attendus de ce début d’année, notamment grâce à l’équipe derrière ce jeu d’aventure narratif. Une ribambelle de personnalités venues de différents coins de l’industrie qui ont mis du cœur à l’ouvrage d’un jeu qui assume pleinement sa proximité fonctionnelle avec Gone Home, sans reproduire ses écueils.
Se réclamer de Gone Home, c’est en premier lieu faire l’aveu de proposer un objet avant tout narratif plutôt que véritablement ludique. En ce sens, le titre de The Fullbright Company s’était attiré les foudres de toute une frange de joueurs conservateurs ne considérant même pas Gone Home comme un jeu dans le sens où il ne propose ni de réel défi ni une interaction poussée. L’ire de ces être dénués de sensibilité passée, Gone Home est naturellement venu se ranger du côté de titres comme Dear Esther, côté que l’on qualifie souvent de celui des “simulateurs de marche”. Une catégorie qui a ouvert la voie à bien d’autres titres comme The Walking Dead, Sunset, Beyond Eyes, The Stanley Parable, ou plus récemment Everybody’s Gone to the Rapture, développé par The Chinese Room, déjà responsable de Dear Esther. En jouant avec le curseur de la liberté d’exploration donnée au joueur, chacun de ces jeux raconte à sa manière une histoire au travers d’objets, de lieux et d’anecdotes livrées ou cachées au joueur au long de son aventure.
Firewatch joue clairement dans cette cour, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard puisque certains des membres de Campo Santo ont clairement un bagage de cet acabit. On retrouve Chris Remo, compositeur -entre autres- de la bande originale de Gone Home (ses accords de guitare se rappellent d’ailleurs à notre bon souvenir dès les premières secondes de Firewatch), cette fois-ci impliqué plus profondément dans l’écriture du jeu; le bougre cumule les casquettes puisque il a également co-écrit The Cave avec un certain Ron Gilbert. Ses comparses au scénario ne sont nuls autres que les scénaristes principaux de la première saison de The Walking Dead par Telltale Games. Une fine équipe complétée par d’autres têtes plus ou moins connues : Nels Anderson, designer principal sur Mark of the Ninja, Olly Moss, un illustrateur de talent ayant notamment bossé pour Marvel et Jane Ng, une artiste à qui l’on doit les environnements de Brütal Legend & The Cave.
Des personnalités aux parcours souvent croisés qui se sont acharnés depuis deux ans à créer le monde mystérieux de Firewatch. Malgré les inspirations et l’inscription du titre dans une mouvance parfois trop codifiée faisant la part belle à la narration, Firewatch développe une identité forte. L’ambiance chatoyante des parcs naturels du Wyoming attise la curiosité du joueur pour l’exploration, et surtout la contemplation. Des longues balades qui laissent agréablement la place à un élément central de Firewatch : les dialogues. Là ou Gone Home, Dear Esther ou Sunset ne jouent que sur des éléments narratifs qui s’imposent presque au joueur et devant lesquels celui-ci est passif, Firewatch abreuve le joueur de dialogues entre Henry, le personnage que l’on incarne, et Delilah, sa supérieure hiérarchique. Des dialogues à choix multiples qui ont des répercussions plus ou moins fortes sur la relation qu’entretiennent les personnages.
All along the Firewatchtower
Cette relation commence alors qu’Henry s’écarte radicalement de la vie qu’il a toujours mené pour devenir guetteur de feux dans la forêt nationale du Shoshone, située dans l’état du Wyoming. On apprend le passé d’Henry via des petits interludes textuels dans l’introduction du jeu, qui nous mène, lors d’une randonnée condensée de deux jours vers notre tour de guet de Two Forks, la région que doit couvrir Henry. Nous sommes en 1989 et le seul moyen de communication que l’on a à notre disposition est un petit talkie-walkie, lui-même relié à une unique personne, Delilah. Delilah est responsable de la région de Thorofare, au nord de Two Forks.
Habituée des changements de guetteurs à Two Forks, Delilah taquine d’entrée le joueur et le tourne en dérision dès que notre garde commence. Delilah agit en fait dans Firewatch comme le feraient des éléments ludiques ou environnementaux dans un jeu “traditionnel”. Il faut par là entendre que Delilah est à la fois pour le joueur un ressort narratif -elle construit l’histoire avec le joueur au travers des dialogues, et il est d’ailleurs possible de ne pas lui répondre- et un ressort ludique, puisqu’elle nous aide dans les tâches à accomplir mais nous manipule aussi. Sans vouloir gâcher les surprises de Firewatch, nous sommes, très tôt, confrontés à cette manipulation espiègle de Delilah, qui joue avec l’ignorance totale de Henry vis-à-vis de son environnement et de ce qu’il doit faire, et donc joue avec les attentes et suppositions que l’on a sur ce monde. Ce double-emploi du personnage de Delilah et de la relation malléable que l’on choisit d’entretenir avec elle vient sceller les doutes que l’on pouvait avoir sur la notion de jeu. Une notion remise en question avec les titres que l’on citait plus haut, qui ici n’est plus discutable. Sans donner de liberté totale ni d’interaction complexe au joueur, Firewatch l’abandonne à une forme de jeu pure : une exploration des libertés offertes par un ensemble défini de règles.
Ainsi, en campant pourtant un personnage aux caractéristiques précises et immuables, on découvre peu à peu le fonctionnement d’un métier particulier, comme le fonctionnement de la région de Two Forks, qui ne se révèle qu’en acceptant le contrat de départ : comme Henry laisse sa vie derrière lui, on doit laisser ce qu’on connaît du jeu ou de la réalité pour profiter de Firewatch. En revenant sur l’apprivoisement de la région de Two Forks, le titre de Campo Santo, plutôt que d’orienter le joueur via une mini-carte, met directement dans les mains d’Henry une carte en papier ainsi qu’une boussole, avec lesquelles il faudra se débrouiller. Au fil de l’aventure, les informations récoltées ça et là seront annotées sur la carte et viendront étoffer la relation que l’on a avec le monde qui nous entoure.
L’essence de Firewatch se trouve dans cette relation entretenue avec le jeu lui-même, servi par un environnement étoffé et crédible, tout comme il est magistralement servi par les personnages d’Henry et Delilah, campés par les non-moins magistraux Cissy Jones et Rich Sommer. En s’appuyant sur une écriture touchante et juste, Firewatch raconte une histoire moins attendue qu’on pourrait le croire. Et il faut traverser cette catharsis d’une poignée d’heures à peine de bout en bout pour comprendre la vraie volonté de Campo Santo : proposer une expérience écrite sans pour autant prendre le joueur par la main, le plonger presque sans concession dans une ambiance sublime, pour jouer avec lui et se jouer de lui.
Porté par une forme irréprochable, tant au niveau sonore que visuel ou technique, Firewatch s’écarte des attentes et des craintes que l’on pouvait avoir de lui sans trembler pour révéler un fond à l’avenant. Se réclamant de Gone Home (a qui il fait une habile référence qui plaira aux curieux), en évitant les écueils d’une narration par trop passive et truffée d’incohérence, Firewatch jongle avec les codes du jeu narratif tout en prouvant qu’il est avant-tout un jeu, et un excellent jeu.
Firewatch
- Développeur Campo Santo
- Type Aventure/Narratif
- Support PC (Steam), Playstation 4
- Sortie 09 février 2016
Les plus :
- Ambiance sublime et maîtrisée
- L’écriture juste et touchante
- Les émotions
Les moins
- Certains le trouveront trop court
- Et d’autres seront scandalisés qu’il ne soit pas entièrement traduit en français
- Tant pis pour eux !
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