J’avais pensé faire un test de Yokaï Watch. Mais n’ayant pu l’essayer que pendant 3h30 je ne me voyais pas vraiment pondre un truc précis et solide, un truc qui aurait fait plaisir aux quarantenaires friands de notes et de pourcentages, de clashs et trolls gratuits. Du coup, au lieu de vous dire « Yokaï Watch est un excellent jeu et je n’ai qu’une envie, l’acheter pour m’y adonner pleinement sans contrainte de temps », je vais plutôt vous parler de pourquoi Yokaï Watch est un jeu compliqué hors Japon ; sauf si, comme moi, l’archipel vous fait autant vibrer que le 11 mars 2011. Yokai watch c’est un jeu vidéo d’esprit japonais. Les Yokaï, issus de l’imaginaire nippon depuis 1200 ans hantent écrits, estampes et bandes dessinées depuis toujours. Nous allons nous poser la question de savoir si un jeu sur la culture japonaise destiné aux enfants peut fonctionner en occident.
Japonnnnnnnnnnnnnnnnn
Ce qui m’a choqué, ou plutôt séduit, c’est qu’on m’a présenté Yokaï Watch comme un pokemon like. Mais pas du tout! Je vais m’attirer les foudres des pokémaniaques mais, personnellement, le monde de pokemon me touche autant qu’une promenade à Charleroi. Disons qu’il est coloré, chaleureux, mais finalement peu dépaysant et beaucoup trop générique. Alors, comprenez-moi, quand je lance pour la première fois Yokaï Watch et que je me retrouve dans une petite bourgade japonaise comme on en trouve exactement à l’ouest de Tokyo près du mont Takao, forcément, ça touche. Elle est détaillée, fourmillante de vie, architecturalement impeccable et dans le respect des villes japonaises. Des villes et des grands lieux qui ne sont pas là uniquement pour la fonction. Dans pokémon, une ville vous servira uniquement « à faire le plein » comme une station d’essence. Ici, dans Yokaï Watch, place à l’exploration et à l’aventure avec comme terrain de jeu les villes (50 fois plus grandes que celles de pokémon). On s’amuse du coup à fouiner, à chiner, à flâner et à discuter avec la centaine de passants,…
Finalement, Yokaï watch ressemble plus à un action RPG qu’à une ferme capitaliste à monstres ; non sans rappeler un certain Ni No Kuni, lui aussi titre 100% nippon avec beaucoup d’exploration et de monstres issues du folkore japonais
Bon les gars on va adapter les Yokaï pour les enfants de 8 ans ok?
Emmenez-moi au bout de la Terre.
Je ne sais pas si vous connaissez la série de jeu japonaise des « Boku no Yatsuyasumi » (Mes vacances d’été ぼくのなつやすみ ) de Millenium Kitchen sur PS1, PSP et PS3 ou encore l’excellent « Attack of the Friday Monsters : A Tokyo Tale » sur 3DS qui sont des titres assez compliqués à décrire. Ces jeux sont basés principalement sur le ressenti, la contemplation, la plénitude… Bref, si toi aussi tu aimes te balader dans à la campagne, écouter les insectes gazouiller (oui, ils gazouillent), l’eau couler lentement le long des berges claires, le paysan du coin qui s’occupe de ses champs, les petits copains du village qui font d’une petite préoccupation une TRÈS grande affaire, et surtout, cette chère tante Yamamoto qui veut t’apprendre à réaliser cette pâtisserie dont elle seule a le secret, Yokaï Watch sera pour toi. Je ne vais pas essayer de vous embarquer de par mon texte sectaire (oui, je suis un convaincu mais aussi votre humble serviteur), mais ces jeux sont plus dans l’expérience personnelle que dans le scoring ou le dépassement. D’ailleurs, c’est peut être ça justement qui me plait tant : apprécier une bonne ballade, se relaxer, ou juste papoter avec ses amis, voisins ou sa famille.
Votre cerveau, non pas en OFF, mais en éveil.
Bon, j’attends au tournant les vilains et autre fils de Sauron, fils de Satan la tepu et Dominus… mais non, désolé, ici, c’est un petit monde idéaliste qui se dressera devant vous, loin du stress de la vie et des soucis. C’est bien dans cette utopie que l’on va s’enfermer à triple tour. Utopie saupoudrée de culture japonaise ancienne, et des mythes fondateurs du Japon lui-même: les Yokaï. Vous jouerez un petit garçon timide, qui malgré lui tombera sur un gashapon (les distributeurs automatiques de jouets dans les boules en plastique : comme au Carrefour, mais en cool) et y introduira une pièce, réveillant un esprit compagnon bien collant qui souhaite à tout prix faire découvrir à sa jeune et nouvelle recrue que les esprits (les Yokaï, autrement dits des mi-dieux/mi-fantômes) vivent avec les humains en permanence. Pour les voir, l’esprit confie au jeune homme une montre avec un verre très spécial. Un verre de montre pouvant se renverser et se transformer en viseur et qui, à travers lui, a le pouvoir de faire apparaître les Yokaï.
Tous les petits problèmes et autres étrangetés de la vie semblent s’expliquer : un pic de colère soudain, une maladie, une crise d’éternuement, les parents qui s’engueulent, votre meilleur ami qui pète un câble? Ce sont à coup sûr des esprits farceurs qui sèment la pagaille. Votre mission sera alors d’aider vos proches, mais surtout de défendre la terre d’une plus sérieuse invasion de bad yokaï qui ont décidé de foutre le dawa sur Terre (ou sur un petit village japonais).
Comment vous défendre? Par l’attaque!
Il faudra vous lier d’amitié avec certains Yokaï qui vous confieront leurs médaillons, leur bien le plus précieux qui, une fois acquis, vous donnera la capacité de pouvoir les invoquer à vos côtés où bon vous semblera pour combattre d’autres esprits. La chasse aux Yokaïs est ouverte : dans un vieil arbre, sous une voiture, au fond d’une rue sombre, etc. Équipé de votre détecteur à Yokaï sur votre montre, une aiguille virant dans le rouge vous aidera à les localiser. Une fois trouvé, c’est la fight qui commence mon gars. Et là encore, ça n’a rien à voir avec pokemon. Tout d’abord, vous aurez la possibilité d’avoir jusqu’à 9 Yokaï en même temps; mais seulement trois en front line. Du coup, il y a une sorte de roulement à faire avec les Yokaï pour placer 3 des vôtres en mode attaque. Pendant ce temps, les autres vont pouvoir charger leurs supers attaques. Les 3 Yokaï vont faire de petites auto-attaques si vous ne touchez à rien. Mais là où les combats deviennent dynamiques, c’est lors des attaques spéciales. Une sorte de mini game ou QTE apparaîtra : dessiner des signes, faire péter des bulles avec votre stylet, tourner une roue, etc etc autant de mini jeux qui feront charger une barre spéciale afin de pouvoir lancer votre genkidama. Jouissif, nerveux, dynamique, surtout que d’autres mini jeux apparaîtront pour soigner d’une malédiction vos Yokaï. Bref, on ne s’ennuie pas, et on est loin d’être spectateur. La seule ressemblance avec Pokemon serait peut-être dans l’appartenance de Yokaï à un groupe donnant un avantage ou un malus à certains Yokaï sur d’autres.
Un jeu beaucoup trop japonais: origine, culture et repères.
Malgré un travail colossal de localisation de folie en langue française tout simplement parfait (tous les Yokaï parlent en français avec une voix plus ou moins différente!), on ne peut que s’interroger sur le public-cible visé par Nintendo en sortant un tel jeu en Europe. Si les 20-35 ans comme moi ont grandi avec le Club Do ou des animés, couplé à leurs propres curiosités, ils sauront alors reconnaître facilement le design des maisons japonaise, pourquoi le héros enlève ses chaussures en visitant chaque maison, les poteaux électrique dans les rues japonaise, les maisons de bois et de portes à papier de riz dans les montagnes, les temples shintoïste (qui ressemblent TELLEMENT à nos églises), les différentes manières japonaises, ou encore la conduite des voitures à gauche. Il est bien là le malaise : jamais on ne vous présente Yokaï Watch comme une vision traditionnelle du Japon. Déjà, comment expliquer aux enfants que dans la tradition japonaise, les Yokaï sont partout?
Je vous incite d’ailleurs à vous procurer l’excellent dictionnaire des Yokai par Shigeru Mizuki qui passa une bonne partie de sa vie, en plus d’être un mangaka génial, à retranscrire ce que lui racontait sa grand-mère étant enfant, et chercha par lui-même à en savoir plus sur les Yokaï, jusqu’à réaliser la toute première compilation de ses recherches sous forme d’un dictionnaire.
Personnellement, les créatures fantastiques du folklore japonais me fascinent et m’intriguent. Si en Europe le fantôme fait peur, au Japon, il a aussi souvent un rôle comique, presque parodique. Ce qui m’a surpris dans ce jeu destiné pourtant aux plus jeunes, c’est que cette atmosphère loufoque 100% nippone est parfaitement bien retranscrite. Mais sans le bagage de la culture japonaise, comment apprécier un titre aussi bizarre et pourtant si fidèlement retranscrit?
Et si on parlait aux enfants?
Ce matin, je m’entretiens avec Sacha et Maxime, respectivement 9 ans et 12 ans. Le premier Sacha, me dit qu’il n’a jamais vu un seul épisode du dessin animé (alors qu’il est en plein dans la cible) et qu’il ne sait même pas quand et sur quelle chaîne ça passe. Son meilleur copain du même âge Romain lui a déjà vu quelques épisodes sur Dailymotion (haha) et trouve ça « chouette ». Mais aucun d’eux n’a pu jouer au jeu. Avec plus de deux ans de retard par rapport à la sortie japonaise, la sortie française a tout de même bien cartonné si on en croit les chiffre de sa sortie de la semaine 18 de jv.com (bon en même temps cette semaine il n’y avait pas grosses sorties). Il faut quand même savoir que nos petits esprits japonais se sont vendu à 10M d’unités uniquement sur le sol japonais depuis 2013, et que nous sommes depuis avril 2016 déjà au troisième épisode de cette saga. Maxime lui a 12 ans, quand je lui demande si Yokaï l’interesse, il me dit: « Bahhhhhhhh, ça à l’air bien le jeu, mais je suis pas fan non plus avec la pub » , et le dessin animé? « Je l’ai jamais vu! ». Il préfère jouer à Minecraft sur PC, Call Of Duty sur WiiU et League of Legend avec ses copains. Bref, vous l’aurez compris. Yokaï Watch, ils en entendent tous parler, mais ils n’en voient que très peu la couleur.
Si on regarde dans le passé, un jeu issu d’un manga sur les Yokai n’est pas nouveau. L’excellent manga papier et animé de Gegege no Kitaro a eu le droit à plus de 20 jeux différents. Pourtant, AUCUN n’est parvenu dans notre vieille Europe. Alors pourquoi Yokaï Watch a eu le droit à son portage délocalisé de son archipel mère? Nous pouvons aussi citer Project Zero (jeu d’horreur sur les fantômes et Yokai), FolksSoul, Ni no Kuni, Okami (et OkamiDen), Muramasa : The Demon Blade, Sweet Home (sur famicom), Yuyu Hakucho (sur des 10ène de plateformes différentes), 3X3 eyes (Super Famicom), etc etc , Ao Oni …
Yokai Watch est une friandise japonaise.
Le cinéma de spectres (appelé kaidan-eiga) et le jeu vidéo d’horreur japonais se confondent aussi souvent que le folklore des Yokai avec les animés, les mangas et les jeux vidéo. J’aurais pu écrire de longues tirades sur l’origine des Yokai, mais je ferai peut être cela dans un autre article. Yokai Watch m’a non seulement beaucoup plu, mais en plus m’a mis dans le même état que ces titres 100% japonais qui font vibrer mon petit cœur de fan de ce pays, de cette culture et du paysage folklorique nippon si particulier. L’aspect exploration et le sentiment de vie du monde virtuel mis en place par Level-5 couplé par une belle réalisation fait de Yokai Watch un RPG pocket monster unique et attendrissant, un peu comme ces dessins animés des 90 où le cidre remplace la bière, les trentenaires comprendront. Concluons sur le fait qu’on ne peut que saluer l’audace et le pari de éditeurs de jeux de sortir ces jeux si particuliers et traduits en français (ou en anglais). Encourageons les à continuer, car la fraîcheur et la profondeur apportées par ces jeux sont les bienvenues dans cet air surchargé de clones vidéoludiques.
Compléments utiles:
http://scroll.vg/extras/summer-vacation-confidential/
http://www.journaldujapon.com/2016/05/04/spectres-et-fantomes-les-yurei-au-masculin/
Image de couverture de Mizuki: splendides images de YOKAI JITEN, un guide des monstres traditionnels japonais paru en 1981 et illustré par Shigeru Mizuki. Il y a longtemps que je cherche ce livre qui semble malheureusement introuvable. Voir d’autres ici: http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/02/dans-l-imaginaire-japonais-toute-chose-animee-ou-non-peut-etre-habitee-par-un-esprit_4912192_4408996.html