Un nouvel opus de Dragon Age génère toujours des attentes. Et pour cause, la série de Bioware s’est imposée comme une référence du RPG occidental, mêlant univers riche, personnages marquants et récits prenant. Pourtant, avec The Veilguard l’équilibre vacille. Entre promesses tenues à moitié, idées mal exploitées et choix de design discutables, ce titre incarne autant la force que les failles de Bioware sous l’influence d’Electronic Arts.
Une introduction qui donne envie d’y croire
Les premières heures de The Veilguard m’ont véritablement captivé. Le jeu ne s’embarrasse pas d’un long prologue et nous propulse directement dans le vif du sujet. Notez que si vous n’avez pas au minimum joué à Inquisition, vous serez complètement perdu. L’intrigue commence sur une note sombre : Solas, notre ancien frère d’arme dans Dragon Age: Inquisition, échoue par notre faute à détruire le voile et libère les Evanuris, une lignée de divinités elfiques dangereuses qu’il a autrefois bannis. Face à cette menace, nous incarnons Rook, un héros dorénavant marqué par la présence immatérielle de Solas.
Visuellement, le jeu frappe fort. Les environnements, bien que cloisonnés, regorgent de détails. Chaque zone semble conçue avec soin, mêlant des paysages fantasmagoriques à des architectures inspirées des précédents volets. Ce choix de limiter l’exploration à des zones semi-ouvertes est, à mes yeux, une bonne décision. En évitant l’écueil des mondes ouverts sans âme, The Veilguard parvient à maintenir un certain contrôle sur le rythme et l’immersion. D’autant que les quêtes annexes nous permettent de progresser dans l’exploration de chaque zone, un peu à la fois.
Le système de combat, quant à lui, s’inscrit dans une approche hybride. On retrouve la stratégie des premiers volets combinée à une dynamique plus nerveuse très inspirée de Mass Effect. Les combos entre compétences de vos compagnons ajoutent un soupçon de coordination appréciable, même si ces derniers doievnt être géré par vous-même, faute d’une IA efficace. Pourtant, cette mécanique peine à évoluer au fil du jeu. Les trois compétences actives par personnage limitent rapidement la variété, transformant les combats en une petite routine ennuyeuse.
Une narration ambitieuse, mais très mal calibrée
Côté scénario, le potentiel est indéniable. L’univers de Dragon Age regorge d’intrigues complexes, et cette suite s’inscrit dans cette tradition. Pourtant, au-delà des promesses initiales, le récit manque de souffle. Là où Dragon Age: Origins et Inquisition savaient entrelacer intrigues politiques, enjeux personnels et mysticisme, The Veilguard se contente d’un fil conducteur simpliste. Il faut aller arrêter les deux dieux, pour cela, il faut vaincre leurs héraut respectifs, et pis voilà. Solas, pourtant l’un des antagonistes les plus intrigants et trouble de la série, ne bénéficie pas d’un traitement à la hauteur. Ses motivations, certes cohérentes, manquent de profondeur dans leur exécution. L’écriture s’appuie trop sur des moments expositions ultra explicites, et moins sur la compréhension des événements par le joueur. Il faut dire qu’on est un peu stupide et qu’il faut toujours nous expliquer en détail ce à quoi on assite, hein…
Les quêtes principales oscillent entre quelques moments marquants et de longues séquences de remplissage. À tel point que je m’imaginais les antagonistes faire un Monopoli en attendant que nous terminions telle ou telle quête obligatoire avant d’aller leur botter le train. Certaines cinématiques brillent par leur mise en scène, mais elles peinent à masquer un problème plus large : l’intrigue principale manque vraiment de surprises. On anticipe souvent les rebondissements, et les arcs secondaires, pourtant prometteurs, se terminent souvent de manière abrupte.
On va rapidement passer sur l’éléphant dans le corridor avec l’incursion malvenue d’une écriture inclusive et de questionnement de genre totalement hors de propos dans un tel titre, au détriment de véritable sous-intigues exploitant correctement l’univers du jeu.
Bioware a toujours été salué pour son approche inclusive, et ça ne me dérange pas. Les précédents Dragon Age ou les Mass Effect géraient la question de manière intelligente et subtile. Avec The Veilguard, le studio continue sur cette voie, en mettant en avant des thématiques de diversité et d’acceptation de soi. Par exemple, certains personnages évoquent leur quête d’identité (Coucou l’insuportable ado rebelle Taash dont c’est le seul trait distinctif), leurs difficultés relationnelles ou des dilemmes personnels liés à leur passé. Certains de ces moments, bien que réussis, restent en retrait tout en prenant trop d’importance en regard de l’intrigue principale. Et ce traitement superficiel nuit beaucoup à l’importance que l’on porte au récit. Les intentions progressistes font tache et sont utilisées comme un argument marketing plus que comme un véritable moteur narratif. C’est frustrant, car ces sujets auraient pu enrichir l’histoire et les personnages s’ils avaient été intégrés avec plus de nuances. Mais je parlais plus haut d’un éléphant dans un corridor, et ce sont véritablement des éléments qui vous sont jetés au visage sans aucune subtilité en mode « t’as vu ? ».
En tant que joueur simplement passionnés de jeu vidéo, sans affiliations idéologiques quelconque, je cherche avant tout un moment d’évasion et de divertissement. C’est pourquoi, face à ces choix de développement, un malaise s’installe. Je me retrouve comme forcé de participer à un débat idéologique, ou à valider des idées sans aucune remise en question alors que j’espérait simplement échapper à la réalité et plonger dans un monde imaginaire rempli d’intrigues, de magie et de dieux anciens à combattre. Avec des dragons aussi.
Si le jeu vidéo devient le reflet direct des questions de société – elles-même terriblement périssables – il perd peu à peu sa valeur d’évasion, et certains préféreront probablement se tourner vers d’autres moyens de se divertir, moins chargés de ces polémiques. Dans la quête d’intégrer des questions contemporaines et des sujets de société, les développeurs doivent éviter de perdre l’ADN des franchises qu’ils dirigent. Sans cela, ils risquent de voir les joueurs normaux – la vaste majorité en fait – délaisser ces univers qui leur étaient si chers au profit de petites minorités bruyantes qui ne sont la plupart du temps même pas clientes. L’industrie pourrait probablement évoluer vers des segments de plus en plus cloisonnés, où des titres pleinement dédiés à l’exploration de ces questions coexisteraient avec des jeux strictement axés sur le divertissement, sans dimension idéologique.
La solution ne réside probablement pas dans le rejet complet de ces sujets, mais dans une intégration plus subtile et respectueuse des attentes des joueurs majoritaires, quoi que certains en pensent.
Le rythme s’effondre : le poids des quêtes secondaires
Après un départ prometteur, le jeu commence à trébucher sur une gestion du rythme particulièrement maladroite. Une fois l’introduction passée, l’intrigue principale ralentit considérablement. Cela aurait pu être une opportunité pour approfondir l’univers ou développer des arcs secondaires comme dans les épisodes précédents, afinde préparer les séquences finales. Au lieu de ça, on se retrouve submergé par des quêtes secondaires banales.
Ces quêtes, souvent génériques, rappellent les pires moments d’un Dragon Age II – il fallait bien qu’on l’évique celui-là ! Récolte de matériaux, nettoyage de zones infestées d’ennemis, escortes sans intérêt : la liste est longue. Bien que quelques missions se distinguent par une écriture plus inspirée, leur enchaînement finit par lasser. Pire encore, ces activités sont quasi-obligatoires. L’impact de ces quêtes sur l’efficacité de vos compagnons dans les moments-clés impose une certaine pression, transformant une aventure censée être narrative en une course à l’optimisation statistique. On sent ici une volonté de prolonger artificiellement la durée de vie du jeu, au détriment du plaisir du joueur.
Les compagnons, véritable pierre angulaire des RPG Bioware, déçoivent dans The Veilguard. Si leur présentation initiale laisse entrevoir des personnalités distinctes, le développement de leurs arcs narratifs est beaucoup trop superficiel. On retrouve une galerie de clichés qui, bien qu’efficace sur le papier, manque de nuances et de moments mémorables. Quant à Rook, le héros principal, il ne parvient jamais à s’imposer. Les choix de dialogues se limitent souvent à des répliques sarcastiques ou des banalités, réduisant les possibilités d’interprétation et leur impact sur les interlocuteurs. À aucun moment je n’ai eu l’impression de jouer un personnage central, capable de marquer l’univers de Dragon Age. Il n’a par ailleurs que 2 ou 3 décisions majeure à prendre, ce qui est très léger. On ne sent absolument pas son impact sur le monde. Rejouez à Origins bon sang ! Ah j’oubliais… il ne reste qu’une poignée de développeurs chez Bioware qui comprennent encore le code du jeu… on peut faire une croix sur un Remaster de cette pépite…
Même les relations, pourtant au cœur des jeux Bioware, peinent à convaincre. Les romances manquent de profondeur, et les interactions entre compagnons se résument à des conversations anecdotiques. Ici aussi, le genre importe, puisqu’à la différence d’un Mass Effect, vos romances seront limitées… sauf si vous vous définissez comme non-binaire.
Sur le papier, le gameplay propose une base solide. Les combats sont dynamiques, et la possibilité d’exploiter des combos entre alliés apporte un certain plaisir. Mais cette formule montre rapidement ses limites. L’absence de variété dans les compétences, combinée à des affrontements répétitifs, épuise l’intérêt au bout de quelques heures. Les compagnons, bien que techniquement immortels en combat, ne profitent pas d’une IA particulièrement avancée. Ils se contentent d’attaquer mécaniquement, sans réelle coordination, ni grande efficacité. Cela enlève toute tension stratégique et réduit les combats à une série d’actions répétitive. Même les ennemis semblent mystérieusement attiré par Rook, en ignorant superbement la plupart du temps vos compagnons.
L’exploration, quant à elle, souffre d’un design inégal. Les premières zones, richement conçues, invitent à la découverte. Mais très vite, le jeu cède à des mécaniques héritées des mondes ouverts modernes : collectibles inutiles, zones trop similaires, et énigmes sans grande originalité ad nauseam à base de cristaux à déplacer ou à détruire dans un certain ordre. On fini par se perdre dans des environnements mal designés, malgré la présence d’un marqueur qui nous balise le chemin. Je n’ai rien contre les couloirs, que du contraire, mais ici, j’ai trouvé le level-design très quelconque, voire raté.
Bioware et Electronic Arts : un tandem en crise
Les failles de The Veilguard ne sont pas isolées et s’inscrivent dans une trajectoire inquiétante pour Bioware. Depuis le rachat par Electronic Arts, le studio peine à retrouver l’identité qui avait fait sa renommée. Mass Effect Andromeda et Anthem avaient déjà montré les limites de cette collaboration, et ce nouvel opus confirme une nouvelle fois cette tendance. Je vous avoue être très inquiet quant à l’annonce de l’arrêt de développement de DLC pour the Veilguard et celle du début de développement du prochain Mass Effect…
On ressent à chaque instant une volonté de plaire au « public moderne », quitte à sacrifier l’âme du jeu et de son propre univers. On poursuit une intrigue simpliste sans se demander ce que cela raconte de Thédas ou de ses peuples. Pire : la figure de Solas est reléguée au second plan, malgré toute la subtilité que le personnage pouvait apporter à l’histoire, seulement perceptible dans quelques flashbacks statiques annexes. Les choix narratifs, le gameplay simplifié, et les mécaniques de prolongation artificielle trahissent une production dictée par des impératifs commerciaux.
Un autre gros problème qui en découle reste que The Veilguard est conçu pour être une expérience autonome. Bioware a choisi de limiter l’influence des décisions prises dans les jeux précédents, tout en faisant un très mauvais travail pour résumer les informations essentielles et présenter son monde, ce qui est extrêmement frustrant. On se souvient du portail web ouvert pour la sortie d’Inquisition, qui nous permettait d’opérer (ou d’importer) tous les choix des jeux précédents pour évoluer dans « notre » Thédas de manière subtile. Les choix effectués dans Inquisition, comme le sort de l’Inquisition ou les relations avec certains personnages, apparaissent par moments mais restent en très grande partie secondaires. Cette décision semble être motivée par des contraintes de développement, ce qui est compréhensible compte tenu de la complexité d’intégrer chaque scénario potentiel de la saga. Pour autant, je ne peux pas m’empêcher de trouver cette approche réductrice, et après 10 ans, Veilguard aurait pu prévoir quelque chose.
La décision de recentrer l’histoire autour de l’équipe, sans forcer le joueur à gérer une armée comme dans Inquisition, renforce l’intimité et la cohésion entre les personnages. Ce choix délibéré, bien que probablement né d’une réduction de l’ampleur initialement prévue, offre cela dit une vision plus humanisée de l’aventure et replace les relations au cœur de l’intrigue. Reste qu’écrire des personnages, c’est compliqué, et qu’il faut éviter d’y transposer des thématiques qui n’ont rien à faire dans un monde médiéval fantastique au détriment de réelles personnalités. Ce ne sont pas les running gag à base de café entre Neve et Lucanis qui vont nous faire oublier les discussions à couteau tiré de Morrigan et Alistair dans Origins. Aucun membre ne peut non plus se retourner contre vous, ou quitter le groupe en cas de profond désaccord. C’est impossible, car toute l’écriture transpire la compréhension et la bienveillance, ce qui est agaçant. Les choix de réponse ne sont la plupart du temps que des illusions et un ton à donner sans aucune conséquence.
Je m’attendais également à mieux concernant les relations du groupe face à Emmerich, le nécroman dandy, et ce sont finalement les discussions entre Lucanis (possédé par un démon) et Davrin (Garde des ombres) qui m’ont semblées les plus intéressantes à suivre pendant mes pérégrinations, sans que cela ne dépasse jamais les banalités attendues. Beaucoup de préoccuation de nos héros – Taash et Bellara en tête – semblent tellement dérisoires face à la menace des dieux elfiques qu’on a parfois l’impression de se trouver dans une série télé, impression qui n’est pas non plus aidée par la qualité des dialogues, pleins de « connards », « merde », « c’est dingue » et j’en passe. Je ne mentionnerait pas les « iel » « lae » et autre écriture inclusive à point médian qui tombent comme un cheveux dans la soupe au détour d’une annonce d’un massacre d’un village par les engeances…
Après, Dragon Age the Veilguard est-il un mauvais jeu ? Non, je mentirais en disant que je n’ai pas pris plaisir à parcourir ses environnements et à suivre certaines intrigues. Découvrir des secrets anciens, combattre des Dragons et des dieux, qui n’aimerait pas ? Mais cela fait 10 ans que Inquisition est sorti, et si Veilguard ne s’est pas fourvoyé en proposant de la surenchère de grandes zones ouvertes, il est clairement très inférieur aux opus précédents concernant l’écriture. C’est trop superficiel, on ne s’attache pas beucoup à notre équipe et le déroulé des événements est chapitré comme des épisodes d’une série baignant dans une constante bienveillance héritée des mouvements positifs actuels. C’est la faute de personne, toute le monde agit bien et de son mieux… bref c’est plat. On reste loin d’Origins en terme de fluidité et subtilité de récit. Mais Veilgard reste beau.
Dragon Age The Veilguard
Supports | PC, PS5, XBox Series |
Genre | Action RPG |
Date de sortie | 31 octobre 2024 |
Éditeur | Electronic Arts |
Développeur | Bioware |
Multi | Non |
À force de vouloir lisser l’expérience pour plaire au plus grand nombre, Dragon Age: The Veilguard perd ce qui faisait la force des productions Bioware d’antan.
On a aimé
- Visuellement très réussi
- On retrouve un peu Morrigan, faute de la jouer
- Structure linéaire bienvenue pour les amateurs de jeux plus dirigistes
- Personnalisation riche de Rook, tant esthétique qu’historique
- Système d’équipement et de progression flexible et intelligent
- Un virage très orienté Action qui fonctionne
- Des environnements superbes et variés
On a moins aimé
- Une écriture médiocre
- Solas désamorcé
- Une ambiance « Série TV » sans grands enjeux, avec des moments « Friends »
- Un « lore » passé aux oubliettes (Chantrie, etc…)
- Un côté « Avengers Assemble » dans le recrutement des héros
- Le créateur de personnage complexe à utiliser
- Peu d’évolution dans l’histoire après les premières heures.
- Des mondes-couloirs reliés par un Hub « déconnecté du monde »
- Un bestiaire très limité
- Des énigmes environnementales inintéressantes
- Des préoccupations « Modernes » totalement inappropriées et ultra forcées
- Un Level-Design très plat
- Reprise limitée des choix des jeux précédents
- Combats qui deviennent répétitifs sur la longueur
- Système de factions et de relations simplifié, peu impactant
Dragon Age The Veilguard
Titiks
En bref
Dragon Age: The Veilguard n’est pas le successeur qu’on espérait. Il reste un jeu réussi sur certains points et spectaculaire visuellement et dans ses mécaniques malgré le virage pris, mais loupe le coche de l’écriture, bien loin de la qualité attendue pour un jeu de rôle médiéval fantastique. Solas, le héros de l’Inquisition et le souvenir de la Garde des Ombres décimée à Ostagar méritaient bien plus qu’une série télévisée pensée pour un « public moderne ».
À propos de l’auteur
Titiks
Quadra assumé, daron de 3 apprenties gameuses, fan de tout ce qui est capable de raconter une bonne histoire. Touche-à-tout, mais surtout de bonnes aventures qui savent surprendre, et dévoué à l’univers console depuis que Sega était plus fort que tout, vous me verrez bien plus souvent connecté à la nuit tombée #2AMFather.